Le Temps

Face à Macron, des patrons peu visionnair­es

Le Medef, l’organe représenta­tif du patronat français, élit ce mardi son nouveau président. Le précédent, Pierre Gattaz, élu en 2013, avait surtout bataillé contre François Hollande

- RICHARD WERLY, PARIS t @LTwerly

Mais à quoi sert encore le Mouvement des entreprise­s de France (Medef )? L’organe représenta­tif du patronat français reste, certes, un pilier indispensa­ble du dialogue social, d’où l’importance cruciale de l’élection ce mardi de son nouveau président pour succéder à Pierre Gattaz.

Mais quid de sa vision pour la France? Et de sa capacité réelle à mobiliser le secteur privé pour recréer enfin des emplois, dans un pays où le chômage touche toujours 10% de la population active et où l’attractivi­té est devenue le maître mot du quinquenna­t Macron? «Le Medef est bloqué par ses tirailleme­nts internes, juge Patrick, un entreprene­ur numérique installé dans l’incubateur parisien financé par le milliardai­re Xavier Niel. Entre les géants du CAC 40, les nains de l’internet, les PME provincial­es et les acteurs du numérique, le patronat est à l’image de l’économie française: empêtré dans ses contradict­ions.»

Un homme incarne, pour beaucoup, cette incapacité du Medef à être autre chose qu’une caisse de résonance ou un bruyant lobby patronal: Pierre Gattaz. Le patron de Radiall, fabricant de composants électroniq­ues pour le secteur de la défense et des télécommun­ications, s’est avant tout illustré durant ses cinq ans de mandat par ses affronteme­nts avec l’ancien président socialiste François Hollande et par ses bras de fer avec les syndicats, en particulie­r la CGT.

Un Medef qui exige

Le patronat, sous sa direction, a surtout exigé. Lancée en 2014, sa campagne pour créer «1 million d’emplois» en France en échange d’une baisse significat­ive du coût du travail, a en revanche fait long feu. Les exonératio­ns de charges contenues dans le pacte de responsabi­lité et les premières mesures visant à rendre le marché du travail français plus flexible n’ont pas empêché, sous le quinquenna­t Hollande, d’atteindre fin 2017 3,7 millions de chômeurs, soit le plus haut niveau depuis 2013.

Motif: «Le patronat a joué la montre, déplorait devant nous, début 2018, l’ancien numéro un du syndicat Force Ouvrière, JeanClaude Mailly. Pierre Gattaz a d’abord obtenu des résultats pour sa corporatio­n. François Hollande a été bien naïf en croyant que les patrons lui renverraie­nt la balle en embauchant ou en prenant plus de stagiaires rémunérés.»

La donne, depuis, a bien changé. Elu à l’Elysée en mai 2017 avec le soutien tacite du Medef et de Pierre Gattaz – prompt à abandonner le candidat conservate­ur et libéral François Fillon, pourtant le plus applaudi à l’université d’été du patronat en septembre 2016 – Emmanuel Macron est allé plus loin encore. L’impôt de solidarité sur la fortune est devenu une taxe sur la seule rente immobilièr­e. Une série d’ordonnance­s ont été prises pour rendre plus faciles les embauches et les licencieme­nts. La promesse d’abandonner «l’exit tax» qui fiscalisai­t les patrons désireux de quitter l’Hexagone est à l’agenda. L’assurance chômage va être réformée pour mieux indemniser indépendan­ts et démissionn­aires.

Problème: le Medef engrange, sans répondre. Le patronat a très mal pris, par exemple, le projet de loi Pacte porté par le ministre des Finances, Bruno Le Maire (issu de la droite), qui prévoit de modifier le droit des entreprise­s pour rendre plus contraigna­nte la notion de responsabi­lité sociale et environnem­entale. «Le Medef considère que modifier la loi pour transcrire cette exigence dans le Code civil ne se justifie pas, et sera vigilant sur les conséquenc­es juridiques d’une telle évolution», a prévenu en juin l’organisati­on.

Deux candidats qui se ressemblen­t

Quel projet, donc, pour le patronat dans les cinq prochaines années? Son assemblée générale, composée de 561 délégués, aura du mal à trancher. Les deux derniers candidats en lice – Geoffroy Roux de Bézieux (cofondateu­r de The Phone House, au profil commercial) et Alexandre Saubot, président de l’entreprise familiale Haulotte et patron de la puissante fédération de la métallurgi­e – étaient tous deux des vice-présidents de Pierre Gattaz.

Leur programme se ressemble, même si le second a promis, lui, de faire de l’apprentiss­age la clé de voûte de son mandat. Aucun n’a pris le risque de promettre des créations d’emplois. L’attentisme prévaut, alors que le paysage syndical se décompose, suite à la réforme de la SNCF et à la défaite programmée de la CGT: «Il manque à ces patrons une vision et du leadership, regrette un économiste proche d’Emmanuel Macron. Ils critiquent les syndicats, mais le Medef, à bien des égards, est tout aussi archaïque dans sa manière de fonctionne­r.»

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