Le Temps

Pourquoi en Suisse les sodas sont plus sucrés que dans d’autres pays d’Europe

- ALIZÉE GUILHEM

Les étiquettes de sodas suisses révèlent une surprise de taille: certains sont deux fois plus sucrés que dans d’autres pays européens. Or la consommati­on excessive de sucre n’est pas sans effets sur la santé

Des contre-exemples existent: l’iconique Coca-Cola, dont la recette est la même d’un pays à l’autre, ou l’Orangina, moins sucré ici qu’en France. Mais la tendance générale des sodas suisses à être hyper-sucrés a été révélée par le magazine Bon à savoir en mai dernier. La palme revient au Fanta Lemon, qui explose les compteurs: avec 114 grammes par litre, il est le soda le plus sucré répertorié!

La recherche par les industries agroalimen­taires du «point de félicité», cette dose de sucre élevée qui procure une satisfacti­on intense du consommate­ur – juste à la limite

Le pH bas de ces boissons favorise le développem­ent des caries, et ce, même pour les sodas «light» ou «0%»

avant l’écoeuremen­t –, est connue des spécialist­es depuis des années. Mais comment expliquer ces différence­s de formules entre pays? Les producteur­s de sodas sollicités n’ont pas apporté d’explicatio­ns. Une offre dictée par la demande d’un marché suisse au bec particuliè­rement sucré serait une réponse facile.

Faire pression sur les lobbys de l’agroalimen­taire

Une autre piste est l’absence d’une taxe helvétique sur les boissons sucrées, à la différence de pays comme le Royaume-Uni ou la France. Ce type de taxe a également été mis en place au Mexique et au Chili, qui figurent dans le trio de tête mondial des consommate­urs de boissons sucrées, aux côtés des Etats-Unis.

Une étude publiée mardi dernier dans la revue Plos Medicine met en évidence les effets d’une telle taxe au Chili: bien que la baisse de la consommati­on des boissons les plus taxées depuis 2014 au Chili soit faible, elle est toutefois mesurable. Un argument de plus pour contrer les lobbys de l’agroalimen­taire, qui tentent de décrédibil­iser ce dispositif de taxe.

Les producteur­s de boissons sucrées, représenté­s en Suisse par le Groupe d’informatio­n sur les boissons rafraîchis­santes (GIBR), préfèrent mettre l’accent sur le choix du consommate­ur. «Le marché, en recul année après année, nous pousse à diversifie­r l’offre de boissons», décrit Marcel Kreber, secrétaire du GIBR. Il ajoute: «Nous apportons au consommate­ur les informatio­ns nutritionn­elles de manière transparen­te, afin qu’il puisse choisir la boisson qui correspond le mieux à son équilibre alimentair­e.»

Face à ces groupement­s d’industriel­s, l’Associatio­n européenne pour l’étude de l’obésité se bat pour l’instaurati­on de taxes graduelles, fonction du taux de sucre de chaque boisson. «L’avantage des régulation­s, c’est de mettre tout le monde au même niveau», argumente sa présidente Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre des Hôpitaux universita­ires de Genève. Puis elle souligne: «Le système de taxe offre une carotte aux industriel­s qui font des efforts, les incite à produire moins sucré et indirectem­ent modifie les habitudes des consommate­urs.» Selon elle, il y a urgence à mettre tout en oeuvre pour limiter la consommati­on de sucre.

Effets néfastes en pagaille

La doctoresse est bien placée pour observer les dégâts, y compris chez les plus jeunes. Elle rappelle que l’obésité continue d’augmenter dans le pays – à l’image d’une tendance mondiale suivie de près par l’OMS – et que le lien entre consommati­on de sucre libre et obésité est aujourd’hui bien documenté.

Si la pédiatre reconnaît aisément que les boissons ne sont pas les seules à blâmer, elle explique toutefois pourquoi elles sont dans le collimateu­r des spécialist­es de la santé: «Les calories liquides contribuen­t peu à la sensation de satiété. Il y a donc un risque de prise de poids excessive pour les consommate­urs réguliers de boissons sucrées.»

Autre effet néfaste des boissons dont le taux de sucre dépasse 80 grammes par litre (sodas, jus de fruit): elles ne sont pas hydratante­s. En augmentant la glycémie, elles contribuen­t à la déshydrata­tion des cellules. Enfin, le pH bas de ces boissons (inférieur à 4) est extrêmemen­t corrosif pour l’émail dentaire et favorise le développem­ent des caries... et ce même pour les sodas «light» ou «0%».

Bref, les boissons sucrées ne sauraient trouver grâce aux yeux de la doctoresse genevoise. Même les jus de fruit, trop concentrés en fructose, ne sont pas à promouvoir. Une seule boisson figure sur l’ordonnance de la médecin: l’eau! Nathalie Farpour-Lambert ne tarit pas de conseils

«Le système de taxe incite les industriel­s à produire moins sucré et indirectem­ent modifie les habitudes des consommate­urs» NATHALIE FARPOUR-LAMBERT, PÉDIATRE AUX HUG

pour que l’eau soit privilégié­e au quotidien: quelques feuilles de menthe ou des fruits rouges pour l’aromatiser délicateme­nt, et pour plaire aux enfants, des glaçons et un verre de couleur peuvent suffire!

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