Le Temps

La Suisse fait un pas vers la libéralisa­tion en douceur du cannabis

- C. Z ▅

Le Conseil fédéral propose la distributi­on – très contrôlée – de produits à base de chanvre par les communes. La loi sur les stupéfiant­s devrait autoriser des essais pilotes

D’ici à quelques années, les Suisses qui consomment déjà du cannabis devraient pouvoir se procurer des joints à haute teneur en THC ou des «space cakes» garantis sans pesticides auprès de fournisseu­rs approuvés par la Confédérat­ion. C’est du moins le projet mis en consultati­on mercredi par le Conseil fédéral. Un article de loi expériment­al devrait permettre aux villes qui le souhaitent de s’écarter de la stricte interdicti­on qui prévaut – théoriquem­ent – aujourd’hui.

On est encore loin de la libéralisa­tion totale pratiquée dans certains Etats américains, au Canada ou aux Pays-Bas. Mais le Conseil fédéral donne un signal clair de la direction dans laquelle il souhaite aller: la vente légale et encadrée de cannabis à des cercles de consommate­urs restreints, pour des durées limitées à quelques années, et dans des lieux bien précis, dont les pharmacies. Mais même avec ces restrictio­ns, son projet risque de susciter des opposition­s. Au Conseil national, une coalition composée de l’UDC et du PDC vient de refuser, à une très courte majorité, une motion visant à autoriser des projets pilotes de distributi­on de cannabis.

Le ministre Alain Berset met en consultati­on un article autorisant des expérience­s locales de vente légale de cannabis à usage récréatif

Le Conseil fédéral souhaite adapter la loi fédérale sur les stupéfiant­s (LStup) pour permettre des expérience­s pilotes de régulation du chanvre. Il ne s’agirait pas de lever l’interdicti­on du cannabis, a précisé hier le ministre Alain Berset, chef du Départemen­t fédéral de l’intérieur (DFl). Mais d’explorer les effets potentiels d’autres modèles de régulation de cette substance. Le gouverneme­nt a mis mercredi un projet d’ordonnance en consultati­on jusqu’au 25 octobre, pour prendre la températur­e auprès des milieux intéressés: cantons, partis politiques, associatio­ns faîtières suisses des communes, des villes et des régions de montagne, ainsi que les organisati­ons économique­s.

De quoi nourrir les débats à venir au parlement: plusieurs motions réclament un tel «article d’exception». Or la bataille est loin d’être gagnée pour les défenseurs d’une approche plus libérale en matière de politique de drogues. Lors de la dernière session à Berne en juin, le Conseil national a enterré à 96 voix contre 93 une motion qui réclamait justement de créer un nouvel article de loi pour permettre des essais pilotes de régulation. L’UDC et le PDC se sont opposés à ce qu’ilss perçoivent comme une «légalisati­on en douce» du cannabis.

«L’interdicti­on du chanvre n’empêche pas près de 200000 personnes de consommer régulièrem­ent du cannabis à des fins récréative­s en Suisse», a souligné hier Alain Berset, partageant le constat d’échec de la répression des milieux de la prévention. Les consommate­urs trouvent sur le marché noir des produits qui ne font l’objet d’aucun contrôle: «Ce n’est pas satisfaisa­nt du point de vue sanitaire», a ajouté le ministre.

L’ordonnance mise en consultati­on hier précise que ces essais pilotes devraient être limités à une ou plusieurs communes. Leur durée ne devrait pas dépasser sept ans au total. Le nombre de participan­ts serait limité à 5000. Chacun recevrait au maximum 10 grammes de THC par mois. Les mineurs, les femmes enceintes ou les personnes atteintes d’une maladie psychique en seraient exclus.

Accès facilité au cannabis médical

A l’origine, la demande émane des parlements de plusieurs grandes villes, qui manifesten­t depuis plusieurs années leur volonté de s’écarter de la stricte interdicti­on du cannabis. Genève, Berne, Zurich, Bâle, Lucerne ou encore Bienne souhaitent expériment­er une régulation du marché du cannabis. L’an dernier, l’Université de Berne, mandatée par la municipali­té, s’avançait la première pour déposer une demande auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), afin d’autoriser la vente légale de cannabis en pharmacie. L’OFSP a rejeté cette requête en novembre dernier, au motif que les bases légales actuelles ne permettent pas ce type d’expériment­ation. Dans la LStup, la production, le commerce et la consommati­on de chanvre peuvent être autorisés exceptionn­ellement pour des projets de recherches scientifiq­ues, ou pour des applicatio­ns médicales limitées. Or selon l’OFSP, ces exceptions prévues par la loi ne s’appliquent pas à la consommati­on de cannabis à des fins récréative­s.

Le Conseil fédéral a également annoncé hier sa volonté d’assouplir l’accès au cannabis médical. Actuelleme­nt, un individu souhaitant obtenir un médicament contenant du THC doit réclamer, au travers de son médecin, une autorisati­on exceptionn­elle auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Cette autorisati­on ne serait plus nécessaire.

«L’interdicti­on du chanvre n’empêche pas près de 200 000 personnes de consommer régulièrem­ent du cannabis à des fins récréative­s en Suisse» ALAIN BERSET

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