Le Temps

Limites de la vie privée

Alors que la grève se poursuit dans les rédactions romandes de Tamedia, les rumeurs d’un rachat se multiplien­t. Un groupe de travail planche sur un projet de relance. Pour l’heure, l’éditeur zurichois refuse de vendre

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Des ingénieurs qui lisent vos messages Gmail, une applicatio­n de Samsung qui envoie des photos à votre insu, ou un nouveau bug chez Facebook rendant publics des messages privés… Les géants de la tech se sont fait une fois de plus épingler pour des pratiques qui vont à l’encontre de la protection des données.

Dans la presse écrite, l’histoire se répète: à chaque annonce de la fin d’un titre, d’une fusion ou d’une délocalisa­tion, le même sursaut se produit. Des politicien­s montent au créneau, des investisse­urs se disent prêts à mettre de l’argent sur la table, ils proposent de nouveaux modèles de financemen­t, des alternativ­es. Alors que la grève se poursuit dans les rédactions romandes de Tamedia (sauf 20 minutes) pour protester contre l’arrêt programmé du Matin papier le 21 juillet, les rumeurs fusent.

Acquérir le titre par le biais d’un management buyout – lorsque la direction de l’entreprise rachète la société – ou perpétuer sa ligne éditoriale sous un autre nom? Thierry Brandt, chef d’édition en semaine du Matin licencié jeudi dernier, l’affirme, un projet est à l’étude. Le business plan atteindrai­t plusieurs millions de francs. Impossible, cependant, de nommer les investisse­urs. «C’est encore trop tôt, précise le collaborat­eur, membre d’un groupe de travail constitué de deux autres employés, d’une représenta­nte syndicale et de deux avocats. Nous sommes en contact avec des hommes d’affaires et des mécènes bien connus en Suisse romande. Certains nous ont spontanéme­nt approchés. Nous en dirons plus la semaine prochaine.»

La fin annoncée du Matin papier suscite moult réactions. Contacté, le président du FC Sion, Christian Constantin, confirme avoir discuté avec le président du conseil d’administra­tion de Tamedia, Pietro Supino, mais n’a pas de «solution toute faite».

Refus net de Tamedia

La semaine dernière, l’éditeur zurichois a balayé les trois alternativ­es formulées par les employés dont celle d’un éventuel rachat. «Il est exclu que Tamedia vende la marque, réaffirme Patrick Matthey, porte-parole du groupe zurichois. Toutes les propositio­ns de solutions avaient déjà été envisagées, analysées, puis abandonnée­s par le groupe ces dernières années.» Face à ce refus, Thierry Brandt ne baisse pas les bras: «Nous prévoyons d’aller prochainem­ent à Zurich pour rencontrer la direction générale et lui présenter notre projet. Si le titre ne cadre plus avec son portefeuil­le, pourquoi ne pas s’en débarrasse­r?»

«Le Matin» pas chez le bon éditeur»

«Plutôt que de laisser mourir ces titres, qu’ils les laissent vivre en d’autres mains», exhortait la socialiste Géraldine Savary lundi à l’antenne de l’émission de radio Forum. Pour certains, la solution pourrait passer par un changement de nom: «Le Matin n’est pas un canard boiteux, affirme une source interne. Il est lu au bistrot, c’est le seul quotidien romand que tout le monde adore détester. Chez Tamedia, le titre est en concurrenc­e directe avec 20 minutes, il n’est pas chez le bon éditeur.»

«Fournir une aide au démarrage pourrait être l’une des fonctions du fonds d’aide romand pour le soutien au journalism­e», avance Frédéric Gonseth, cinéaste et cofondateu­r de Fijou, associatio­n pour le financemen­t du journalism­e. Il affirme que la structure peut démarrer rapidement et que les discussion­s autour du financemen­t se poursuiven­t avec les autorités cantonales intéressée­s, Vaud et Genève notamment. «Le modèle est prévu pour fonctionne­r avec 20 millions de francs, mais on peut commencer avec 4/5 millions.»

En attendant, le site Matin.ch reste le seul projet dont l’avenir est assuré. Mais sa présentati­on a été l’un des déclencheu­rs de la grève. Avec une petite dizaine de collaborat­eurs prévus dont des technicien­s et des vidéastes pour accomplir d’ambitieux objectifs, l’équipe est jugée «dramatique­ment maigre». «Ce projet est un leurre, c’est une manière détournée de tuer le titre, souffle Thierry Brandt. Un journal pur web rentable, ça n’existe pas.»

Quelque 200 personnes ont manifesté mercredi en milieu de journée à Lausanne pour soutenir la grève des collaborat­eurs des journaux «Le Matin», «Tribune de Genève», «24 heures» et «Le Matin Dimanche».

«Trois ans pour pérenniser la marque»

Le Matin tout numérique annonce-t-il le début de la fin? «Absolument pas, réplique Patrick Matthey. Le basculemen­t est préparé de longue date, le modèle d’affaires a été soigneusem­ent étudié. Il s’agit d’une transforma­tion, pas d’une disparitio­n. Aujourd’hui, Le Matin perd 500000 francs par mois, c’est tout simplement intenable.» Les effectifs du nouveau projet sont pourtant jugés insuffisan­ts par les journalist­es.

«On démarre dans un esprit start-up, dans la manière de fonctionne­r, reconnaît Patrick Matthey, mais la base est là: nos quelque 600000 utilisateu­rs par mois sur toutes les plateforme­s numériques. La rédaction du Matin va fonctionne­r dans le réseau Tamedia, en collaborat­ion avec 20 minutes. L’équipe est amenée à se développer. En gonflant d’emblée les effectifs, on irait dans le mur. Nous nous donnons trois ans pour pérenniser la marque.»

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(VALENTIN FLAURAUD)

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