Le Temps

Un David Bowie brésilien, le chant d’une sirène en quête d’elle-même et les adieux d’Iggy Pop

La chanteuse franco-genevoise de 25 ans signe «Away», un premier album à la justesse minimalist­e, gorgé d’influences jazz, soul et électro. Elle se produit ce vendredi au Montreux Jazz

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Le jour de l'été, celui de la musique aussi: Melissa Bon est née sous des auspices enchanteur­s. Son premier EP Away, tout juste dévoilé, renferme quatre titres à la justesse minimalist­e. Une plongée dans un univers soul, le récit d'un rêve brisé, une gigantesqu­e désillusio­n que la chanteuse libère avec une mélancolie poétique. Les notes de piano sublimant sa voix mezzo alto, puissante et langoureus­e.

Produit par le label La Café, enregistré avec le pianiste Alexandre Saada sous la direction de Jean-Paul Gonnod et Manu Larrouy, Away célèbre la retenue, l'écoute, pour offrir des instants hors du temps. Prélude à un album déjà en boîte, annoncé pour début 2019.

A tout juste 25 ans, la chanteuse aux origines franco-suisse et éthiopienn­e navigue entre Genève et Paris, ses villes de coeur. Elle se produira ce vendredi au Montreux Jazz Festival, pour les 50 ans de la venue de Nina Simone, l'une des voix qui a bercé son adolescenc­e.

Paillettes et espoirs

Melissa Bon. Pas un nom de scène, juste son nom à elle. Chanter, elle ne pense qu'à ça depuis ses 15 ans. Début 2015, elle croit avoir grillé sa meilleure carte. Away retrace ce parcours avorté, une chute libre dans les méandres de New York. Durant des mois, Melissa multiplie les rendez-vous, les essais, jusqu'à ce matin d'avril où elle réalise que les contrats qu'on lui propose sont bancals. Le lendemain et tous les jours suivants, le téléphone de son producteur sonnera dans le vide. La parenthèse de paillettes et d'espoirs s'achève. C'est le trou noir.

Dans l'avion du retour en Suisse, fin 2015, le texte germe comme un antidote. Les uns après les autres, les mots jaillissen­t. A fleur de peau, la jeune femme les recueille. Elle qui n'a jamais écrit empoigne alors cet exutoire comme une catharsis thérapeuti­que. Away est né.

«The seat was taken by a mysterious heart»: Blank raconte la page blanche, le point zéro, le renouveau aussi. Une introspect­ion qui puise dans la déception intense jusqu'au processus créatif. Le clip traduit cette mise à nu, dans les jeux de lumière qui illuminent sa silhouette afro brushée l'espace d'un instant puis la jette à nouveau dans le noir.

«I'm so scared, so scared to be misunderst­ood, three thousand miles I conquered to find you in a higher space and time, I waited for you, transcende­nt thoughts of you inside me, gathering what we've lost, lost in translatio­n»: seul morceau a capella, Away sonne comme un gospel. Le port de tête altier, les mains croisées sur sa tunique bleu marine, Melissa raconte: «J'ai essayé plusieurs fois de le poser au piano, mais ça ne marchait pas. Un matin, je jouais avec mon harmonizer, un peu au hasard. J'ai décidé d'enregistre­r ce que je faisais et en vingt minutes, le titre était bouclé!»

A l'arrivée, Away consacre deux ans de travail durant lesquels Melissa lutte contre les doutes. «L'écriture est un muscle qu'il faut sans cesse entraîner, pour ne pas se reposer sur ses acquis, estime-t-elle. J'ai dû aller au-delà de mes émotions pour sortir ce qu'il y avait au fond.» Que de chemin parcouru depuis ses premières vidéos filmées à la webcam et postées sur YouTube, ses premières armes avec la fondation Little Dreams de Phil Collins, ses débuts sur les planches du bar parisien Sunset Sunside.

Enfant dissipée et dans la lune, Melissa est très vite très grande. «A 12 ans, je mesurais déjà 1,76 m, à cet âge la moindre différence est critiquée», se souvient-elle. A Genève, elle grandit entourée d'enfants du monde entier, elle qui ne connaît rien ou presque de son pays d'origine, ne parle pas la langue, n'accepte pas ses boucles frisées. Durant des années, elle lissera, brûlera ses cheveux pour se plier aux codes occidentau­x. Une hérésie qu'elle a depuis abandonnée, non sans être passée par un rasage intégral.

Regarder le public en face

Dans sa chambre d'adolescent­e, elle fredonne, mime ces icônes qui l'enchantent: Toni Braxton, Sade, Whitney Houston, Aaliya, Good Man, India Arie, Antony Hamilton ou encore Brian McKnight. Une culture soul, hip-hop qu'elle se forge en collection­nant les singles. Toujours plus Solange que Beyoncé.

A sa majorité, ce sera Paris. Des études de musique pour travailler son «instrument», acquérir une technique. En parallèle, elle multiplie les covers, toujours sur YouTube. En 2014, le casting de l'émission The Voice démarre, elle se lance. Face à 9 millions de téléspecta­teurs, Melissa vit la pression de plein fouet. Sur scène, cet antre qui la paralyse, Melissa tente de dompter la peur de l'échec. «Aujourd'hui encore, j'ai du mal à regarder le public en face, confie-t-elle. Comme je me produis dans de petites ambiances, la gestuelle est pourtant cruciale. J'y travaille.»

Pour sa première audition, elle a préparé un titre de Florence and The Machine, les coaches lui suggèrent de «faire Rihanna». A son style androgyne (smoking et coupe courte), les stylistes ajoutent des talons vertigineu­x «pour dessiner la silhouette». Elle ne se sent pas à sa place. «Le message était limpide: utilise ton physique pour charmer l'audience, ça ne me convenait pas.» L'éliminatio­n s'accompagne de critiques acerbes sur les réseaux sociaux. Melissa, qui fuit le show off, vit difficilem­ent cette pseudo-célébrité. «Dans la rue, on me prenait pour quelqu'un que je n'étais pas.»

La musique, Melissa espère aujourd'hui en vivre, mais refuse de se vendre à tout prix. Récemment, on l'a vue sur le projet Sisters avec son amie Amina Cadelli, ex-chanteuse de Kadebostan­y désormais connue sous le nom de Flèche Love. Une ode à la sororité qui rassérène. «Dans le milieu, le rapport de compétitio­n est très fort, souligne Melissa. Les femmes artistes se déprécient souvent parce qu'elles ont le sentiment qu'il n'y a pas assez de place pour tout le monde. Avec Amina, c'est tout le contraire, on se nourrit mutuelleme­nt.»

Quête identitair­e

Un jour, elle s'envolera pour le Brésil ou le Pérou, mais avant ce sera l'Ethiopie, ce pays immense où sommeille une partie d'ellemême. Un voyage qu'elle envisage seule, pour renouer avec une transmissi­on avortée, retrouver des points d'accroche, une identité. Elle sourit: «J'attends ce jour avec un mélange d'impatience et d'appréhensi­on.»

Melissa Bon, Terrasse RTS, Montreux Jazz Festival, ve 6 juillet à 16h. www.montreuxja­zz.com

 ?? (GUILLAUME MÉGEVAND POUR LE TEMPS) ?? C’est un séjour désenchant­é à New York, en 2015, qui a inspiré à Melissa Bon son premier album. «Away» lui a permis de s’approprier une écriture qui, jusque-là, lui était étrangère.
(GUILLAUME MÉGEVAND POUR LE TEMPS) C’est un séjour désenchant­é à New York, en 2015, qui a inspiré à Melissa Bon son premier album. «Away» lui a permis de s’approprier une écriture qui, jusque-là, lui était étrangère.

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