Les lignes rouges au menu politique de l’été
Le recours à un tribunal arbitral pour régler les différends est en bonne voie. Mais la question sensible des mesures de protection des salaires n’est pas réglée. Le Conseil fédéral en discutera avec les partenaires sociaux
«Nous avons franchi un pas, mais ne sommes pas encore au bout.» Ignazio Cassis a fait le point mercredi sur l’état des négociations entre la Suisse et l’UE en vue de la conclusion d’un accord-cadre institutionnel. Il espère toujours trouver un terrain d’entente avec ses homologues européens d’ici au mois d’octobre. Ce calendrier est dicté par l’agenda politique. Les instances européennes seront ensuite accaparées par les élections et le Brexit. Or, il reste encore beaucoup de travail à faire d’ici à l’automne.
Nouvelle directive européenne
Pour le ministre des Affaires étrangères, un consensus a été trouvé pour le règlement des différends concernant cinq accords bilatéraux importants: libre circulation des personnes, reconnaissance mutuelle de conformité, produits agricoles, transport aérien et transports terrestres. Un éventuel désaccord serait d’abord soumis au comité mixte responsable du dossier incriminé, composé de représentants de la Suisse et de l’UE. S’il subsiste, il faudra en déterminer la nature. S’il s’agit d’un point de droit européen, la Cour de justice européenne serait compétente. S’il relève du droit suisse, c’est la justice suisse qui se prononce. Si la divergence porte sur une règle spécifique découlant de l’un de ces cinq accords, comme l’interdiction faite aux poids lourds de circuler la nuit en Suisse, un tribunal arbitral serait saisi. Cette instance comprendrait trois juges: un Européen, un Suisse, un neutre désigné par les deux premiers. Un sixième accord pourrait être soumis au même mécanisme: celui sur l’électricité, qui est toujours en cours de négociation.
Mercredi, le Conseil fédéral a par ailleurs confirmé les lignes rouges qu’il s’était fixées en 2013 et qu’il avait aussi précisées en mars dernier. Il exclut de reprendre le droit de citoyenneté et s’en tient aux principes définis pour les assurances sociales et les mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes. La règle des huit jours, qui oblige une entreprise étrangère qui veut détacher des collaborateurs en Suisse à les annoncer huit jours à l’avance, en fait partie. «Mais l’UE la juge disproportionnée dans la mesure où les travailleurs détachés ne peuvent rester en Suisse que 90 jours», note le secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti. Ignazio Cassis avait scandalisé la gauche en évoquant la possibilité de lâcher du lest sur ce point. «Mais nous n’avons pas bougé d’un millimètre», assure le secrétaire d’Etat.
Le sujet va cependant être discuté. Car l’UE est en train de modifier sa directive de 1996 sur les travailleurs détachés, régulièrement accusée de favoriser le dumping social. Elle envisage par exemple de réduire le délai maximal d’autorisation de travail valable au sein de l’UE de vingt-quatre à douze mois (avec possibilité de six mois supplémentaires) et d’appliquer aux détachés les salaires de la branche du pays d’accueil. L’UE verrait d’un bon oeil la Suisse remplacer ses mesures d’accompagnement par un dispositif de ce genre. Le Conseil fédéral souhaite cependant conserver son mécanisme de protection autonome des salaires.
Mais il est prêt à en discuter durant l’été avec les partenaires sociaux. «Nous voulons voir avec eux si la nouvelle directive européenne sur les travailleurs détachés se rapproche de notre système de protection nationale des salaires», justifie Ignazio Cassis. Les partenaires sociaux ont réagi mercredi soir. Ils saluent la volonté du gouvernement de confirmer que les mesures d’accompagnement restent une ligne rouge. Ils exigent cependant que la Suisse continue de fixer son dispositif de protection des salaires de manière autonome, tout comme le PDC, qui regrette cependant que le Conseil fédéral «parte en vacances» sans rien avoir décidé à ce sujet. La marge de discussion paraît très étroite.
Aides d’Etat à régler dossier par dossier
Autre pierre d’achoppement: les aides d’Etat, qui concernent les entreprises productrices d’électricité ou les banques liées aux collectivités publiques. Le Conseil fédéral ne veut pas que ces questions soient réglées dans l’accord institutionnel, mais dans les traités sectoriels. S’il est désormais prêt à admettre que la convention-cadre contienne une référence générale à ce sujet, il veut que les aspects matériels soient ensuite réglés dossier par dossier, par exemple dans le cadre de l’accord sur l’électricité.
Depuis mars, cinq rondes de pourparlers bilatéraux autour d’un possible accord institutionnel ont été menées et les coordinateurs suisse et européen se sont rencontrés trois fois. On entre désormais dans une phase de politique intérieure, souligne Ignazio Cassis. Celle-ci se concentre sur les mesures d’accompagnement contre le dumping salarial. «Le Conseil fédéral, qui espère toujours un déblocage dans le dossier de la reconnaissance boursière, fera ensuite le point fin août ou début septembre», annonce le chef de la diplomatie suisse. Qui concède qu’octobre n’est plus très éloigné.
▅
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis au Palais Fédéral. Il a fait le point mercredi sur l’état des négociations entre la Suisse et l’UE.
Le Conseil fédéral souhaite conserver son mécanisme de protection autonome des salaires