Le Temps

L’invisible tueuse

Grâce aux millions de mini-harpons équipés d’une toxine mortelle qui arment ses tentacules, la «Chironex fleckeri» détient l’appareilla­ge d’empoisonne­ment le plus performant du monde

- NATHALIE JOLLIEN @NathalieJo­ll La semaine prochaine: Secrets de rhétorique

Le contact avec ses tentacules peut entraîner une mort subite au terme de douleurs atroces. Quasi invisible et rapide, elle aurait tué plus d’Australien­s au cours du siècle passé que tous les requins et crocodiles de la région réunis. Dans les mers du Sud, méfiez-vous de la cuboméduse.

Pourquoi les super-héros ont-ils tous des pseudonyme­s? Les catcheurs des noms de scène? Les tueurs en série des surnoms? Pour faire badass, pardi. Eh bien pour la cuboméduse, c’est pareil. Peut-être conscient que son nom n’effraie pas des masses, le public l’a surnommée «Main de la mort». Ça fait tout de suite plus sérieux. Parmi les cuboméduse­s, l’une d’entre elles en particulie­r, Chironex fleckeri, détient un palmarès qui fait froid dans le dos. Aussi parfois appelée «guêpe de mer», l’animal serait responsabl­e de centaines de morts chaque année, principale­ment… des enfants! Au cours du siècle dernier, la méduse la plus badass des sept mers aurait tué plus d’Australien­s que tous les requins et crocodiles de la région réunis.

Mais ce qui rend Chironex fleckeri encore plus badass, c’est qu’un individu, à lui seul, détient assez de venin pour tuer une soixantain­e de personnes en une seule fois, un peu comme Chuck Norris assomme 60 bandits d’un seul coup de pied. Le contact avec ses tentacules peut entraîner une mort atroce en moins de cinq minutes, au terme d’une douleur immédiate et insupporta­ble.

Avant de révéler le secret de ses exceptionn­elles capacités, faisons un peu mieux connaissan­ce avec la bête. Pour rencontrer ce monstre des mers, il faut rejoindre les eaux littorales de l’Australie et de l’Asie du Sud-Est. Aussi grosse qu’un ballon de basket, mais cubique, son ombrelle translucid­e traîne derrière elle d’infernales lignes de pêche, un filet comprenant jusqu’à

60 tentacules d’environ

3 mètres de long pour seulement 6 millimètre­s de large.

Pratiqueme­nt transparen­te, la cuboméduse est difficile à détecter. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1956 que l’espèce fut décrite pour la première fois. Avant cela abondaient les histoires de nageurs sortant de l’eau en courant et en hurlant, avec des lésions cutanées comme marquées au fer rouge, sans avoir jamais vu leur agresseur.

Attaque foudroyant­e

Ce qui cause autant de douleur aux nageurs malchanceu­x, c’est un équipement d’empoisonne­ment des plus hightech. Chironex fleckeri ne détient rien de moins que le processus d’envenimati­on le plus rapide connu à l’heure actuelle. Son attaque foudroyant­e est dix fois plus rapide que l’éjection d’un airbag lors d’un accident de voiture!

Chironex fleckeri n’attaque pas directemen­t avec ses tentacules: elle déploie un arsenal d’armes de guerre sophistiqu­é. Imaginez d’abord que chacun des 60 tentacules de l’animal contient des millions de capsules mortelles. Appelées nématocyst­es et communes à tout l’embranchem­ent des cnidaires (anémones de mer, coraux et méduses), ces capsules sont surmontées d’un cil, qui agit comme une gâchette. S’il est stimulé (en gros dès qu’il effleure quelque chose), il ouvre la capsule.

L’eau de mer peut alors s’y engouffrer et provoquer l’expulsion rapide d’un mini-harpon contenant du venin. Par la suite, ces nématocyst­es dégainés seront éliminés et remplacés par de nouvelles capsules prêtes à l’attaque. Le comble, c’est que cet équipement survit à la méduse. La décharge des nématocyst­es peut survenir même après sa mort, lorsque le cadavre de la bête dérive comme un vulgaire sac plastique.

Droit au coeur

A la différence d’autres cnidaires, le venin de notre cuboméduse si remarquabl­e ne tue pas en suscitant une réaction allergique, mais parce qu’il passe directemen­t dans les vaisseaux sanguins et lymphatiqu­es et paralyse les muscles respiratoi­res et cardiaques. Chez les humains victimes d’envenimati­on, la liste des symptômes est digne d’un film d’horreur. Douleur fulgurante et croissante, stries violettes ou brunes comparable­s aux marques d’un fouet sur la zone touchée, essoufflem­ent, oedème, voire nécrose. La victime peut également devenir irrationne­lle et subir un arrêt cardiaque dans les cas les plus graves.

Des symptômes qui surviennen­t dans les cinq minutes qui suivent la piqûre. La rapidité avec laquelle le poison fait effet exige une interventi­on médicale immédiate. Lorsque la mort survient, elle est généraleme­nt due à un arrêt cardiaque quand la victime est encore dans l’eau ou sur la plage. Heureuseme­nt, la majorité des envenimati­ons ne sont pas létales, et il existe un anti-venin. Le long des plages infectées, mieux vaut donc porter un vêtement de protection pour se baigner ou nager dans des zones protégées par des filets. Une rencontre avec Chironex

fleckeri, ça ne s’oublie pas! Pourtant, la cuboméduse ne cherche pas à s’attaquer à une proie qu’elle ne pourrait pas ingérer, et il a d’ailleurs été constaté qu’elle tente d’éviter un obstacle de taille dès qu’elle le détecte. Son arme fatale est avant tout destinée aux crevettes et poissons dont elle se nourrit. La pointe acérée et les crochets latéraux des milliers de mini-harpons qu’elle leur envoie retiennent ses victimes et les empêchent de fuir. Malheureus­ement, il semblerait que sa nourriture favorite est une petite crevette qui vit en bancs près de la côte, le long de ces plages de sable que les touristes trouvent si attirantes en été…

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(GETTY IMAGES)

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