Superdogan inaugure son régime présidentiel
Après sa double victoire aux élections législatives et présidentielle anticipées du 24 juin, Recep Tayyip Erdogan a prêté serment ce lundi pour un nouveau mandat de cinq ans aux pouvoirs très élargis
Si la vie politique de Recep Tayyip Erdogan inspire, un jour, un jeu vidéo, certains lui ont déjà trouvé un nom: Superdogan. Depuis quelques semaines, les fans du chef de l’Etat turc diffusent sur les réseaux sociaux une vidéo de deux minutes reprenant le décor d’une partie de Super Mario, la mascotte de Nintendo. Sous les traits du petit plombier, Recep Tayyip Erdogan franchit un à un les obstacles (putschistes, militants kurdes…) pour conquérir, en fin de partie, le titre de Superdogan.
Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, le superlatif s’impose. En prêtant serment ce lundi, Recep Tayyip Erdogan n’a pas seulement entamé un second mandat de président. Il prend les rênes d’un système qui abolit 95 ans de tradition parlementaire dans la République de Turquie. Sa victoire, dès le premier tour, aux élections du 24 juin précipite l’entrée en vigueur du «régime présidentiel» adopté par référendum en avril 2017.
«Gouvernement de la présidence du peuple»
Recep Tayyip Erdogan refuse d’employer ce terme. Il appelle cette nouvelle ère «système du gouvernement de la présidence du peuple». Derrière ce nom alambiqué, on chercherait en vain un équivalent aux Etats-Unis ou du côté français. «C’est un système qu’on pourrait qualifier de superprésidence, au sens où le chef de l’Etat concentre en sa personne l’essentiel du pouvoir sans mécanismes de contrôle», résume le politologue Ismet Akça.
Désormais, la Turquie n’a plus de premier ministre. Recep Tayyip Erdogan est à la fois chef de l’Etat, de l’exécutif, des armées et du parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP). Le nouveau parlement, qui lui est largement acquis, n’a aucun moyen de contrôler ce «superprésident», alors que ce dernier dispose du droit de dissolution. Pire, les députés abandonnent des prérogatives: celle de censurer un ministre ou le gouvernement, d’avoir le dernier mot sur la loi de budget, de fixer les critères de nomination dans la bureaucratie… Tous les hauts fonctionnaires devront désormais leur emploi à Recep Tayyip Erdogan, de même que les hauts magistrats désignés, directement ou indirectement, depuis le palais présidentiel.
«Il n’y a plus de séparation des pouvoirs», résume encore Ismet Akça. Le chef du Parti d’action nationaliste (MHP), allié de Tayyip Erdogan et artisan de sa victoire, a semblé le concéder au lendemain du double scrutin. «La nation turque nous a confié la mission d’équilibre (des pouvoirs)», a estimé Devlet Bahçeli. Plus limpide encore, le député Durmus Yilmaz, président par intérim du nouveau parlement: «Les mécanismes de contrôle, qui sont la conséquence naturelle d’un système de séparation forte des pouvoirs, n’existent plus», a constaté devant ses pairs cet élu du Bon Parti (opposition nationaliste).
Seule ombre au tableau pour Recep Tayyip Erdogan: dans la nouvelle législature, l’AKP ne dispose pas seul de la majorité absolue (il compte 295 sièges sur 600). Le président aura besoin du soutien du MHP pour contrôler le parlement, et pourrait avoir à céder devant ses lignes rouges. «Le pragmatisme extrême d’Erdogan, qui était capable de prendre une décision puis son contraire deux mois plus tard, sera bridé par son alliance avec le MHP, qui est beaucoup plus rigide sur certains sujets, à commencer par la question kurde», observe le politologue Ismet Akça. Comme lui, de nombreux experts s’attendent à un durcissement de la politique du président, servie par l’exacerbation des thèmes nationalistes.
Les déchirements de l’opposition
PRÉSIDENT TURC
Encore sonnée par sa défaite, l’opposition aurait une bonne raison de se ressaisir: les élections municipales prévues en mars 2019. S’il mobilise ses militants et choisit bien ses candidats, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) pourrait mettre en danger l’AKP dans les plus grandes villes, Istanbul et Ankara. Au lieu de cela, depuis le 24 juin, le premier parti d’opposition s’enfonce dans les querelles internes. Recep Tayyip Erdogan pourrait saisir cette occasion et avancer la date du scrutin local.
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