Le Temps

Belinda Bencic, retour vers le futur

- LAURENT FAVRE, WIMBLEDON @LaurentFav­re

La Saint-Galloise est éliminée au quatrième tour de Wimbledon par l’Allemande Angelique Kerber à l’issue d’un match de bon niveau et prometteur (6-3 7-6). Roger Federer, lui, continue tranquille­ment sa route

Posé à côté du Centre Court, le court numéro 1 de Wimbledon est beaucoup plus évasé avec ses tribunes arrondies et de très larges espaces gazonnés sur les deux flancs du terrain. Les spectateur­s sont donc un peu plus éloignés et en surplomb de l’action. La position réservée à la presse, au lieu d’être située derrière la ligne de fond comme à Melbourne, ou tout en haut au milieu comme à Roland-Garros, est ici à mi-hauteur, parallèle au terrain mais désaxée d’environ 45° par rapport au filet. Pour ceux à qui cela évoquera quelque chose, c’était l’emplacemen­t exact des caméras de la BBC dans l’ancien Wembley lors des finales de Cup, un chef-d’oeuvre inégalé de retransmis­sion sportive.

Ce poste d’observatio­n privilégié­e était idéal pour apprécier dans toute sa dimension le match du quatrième tour du simple dames entre l’Allemande Angelique Kerber (tête de série No 11) et la Suissesse Belinda Bencic. D’un même regard, l’on pouvait embrasser la position des deux joueuses, leurs déplacemen­ts, les choix tactiques, la couverture du terrain. Et il y avait des choses à voir tant les deux jeunes femmes se livrèrent une bataille pleine d’intelligen­ce. Un vrai beau match de tennis.

Des adversaire­s acculées à donner le meilleur d’elles-mêmes

Belinda Bencic déploya toutes ses qualités d’attaquante. Très entreprena­nte, n’hésitant pas à varier, à jouer près des lignes, à frapper à plat, à faire courir son adversaire, la Saint-Galloise menait souvent l’échange. En face, Angelique Kerber courait, remisait, inversait la pression chaque fois qu’elle en avait la possibilit­é. Ce n’est pas un hasard si plusieurs des meilleurs matchs de l’année (Kerber-Hsieh à Melbourne, Kerber-Halep à Melbourne et Roland-Garros) impliquent l’ancienne numéro 1 mondiale: elle force toujours ses adversaire­s à donner le meilleur d’elles-mêmes. «Elle ramène tout, oblige toujours à jouer un coup de plus, et oblige à être à la limite», soulignait Belinda Bencic à l’issue de la partie.

Avec l’éliminatio­n de la Tchèque Karolina Pliskova (tête de série No 7) par la Néerlandai­se Kiki Bertens, Angelique Kerber devient la joueuse la mieux classée en quart de finale, même si Serena Williams, retombée au 181e rang mondial après sa maternité, demeure la grande favorite.

Pour que ce huitième de finale émarge à la catégorie des grands matchs, il aurait fallu un troisième acte. Il n’y en eut pas, malgré un break pour Bencic dans chacun des sets, et quatre balles de set sur son service à 5-4 dans la deuxième manche. «Je rate deux coups droits qu’elle ne rate pas, cela a fait la différence», expliqua Bencic. Dans le tie-break, Kerber s’imposa sur sa première balle de match (7-5 dans le tie-break, 6-3 7-6 au final).

Aucune déception ne se lisait sur le visage de Belinda Bencic à l’heure de l’interview. Elle semblait calme, sereine, apaisée. Si une éliminatio­n est toujours brutale, ce Wimbledon 2018 restera pour elle un bon souvenir. «Je suis un peu frustrée mais si je me replonge une semaine en arrière, j’aurais signé pour un quatrième tour. Venir ici tôt pour bien m’entraîner fut une bonne décision», avoua la 56e joueuse mondiale. Il s’agit de son meilleur résultat en Grand Chelem depuis janvier 2016 (huitième de finale à Melbourne contre Maria Sharapova), à l’époque de son meilleur classement (7e à la WTA).

Belinda Bencic n’avait alors que 19 ans et s’apprêtait à traverser les bouleverse­ments physiologi­ques et émotionnel­s qu’affrontent beaucoup de joueuses de son âge. Un cap difficile, comparable à la mue pour un jeune chanteur, qui la vit chuter au classement mais dont elle paraît désormais sortie. Débarrassé­e de ses problèmes de poignet, en pleine forme athlétique, elle semble avoir trouvé un équilibre entre sa carrière, sa vie familiale (ses parents étaient présents à Wimbledon mais son père, Ivan, ne se mêle visiblemen­t plus de coaching) et sa vie intime.

Entre Federer et Mannarino, un gouffre

Cet équilibre, Roger Federer le maintient depuis quinze ans maintenant et son premier sacre ici à Wimbledon. Le Bâlois l’a encore répété lundi: il s’étonne lui-même d’être toujours tête de série 1 ou 2 à 36 ans. Il ne s’étonne pas en revanche de passer les tours sans encombre, mais saisit les occasions que le match lui offre. Opposé au Français Adrian Mannarino, un gaucher au style atypique, il concéda pour la première fois du tournoi des balles de break (4), mais n’a toujours pas perdu un set. «Parfois, cela se joue sur rien, un point ou deux. J’aurais été pareilleme­nt content de gagner en quatre sets.» Il gagna en trois (6-0 7-5 6-4) et affrontera le Sud-Africain Kevin Anderson (finaliste du dernier US Open) mercredi en quart de finale.

Roger Federer infligea à Mannarino un humiliant 6-0 en 16 minutes. Il y avait à ce moment-là entre les deux joueurs un gouffre comparable à celui qui les sépare aux yeux des sponsors: alors que Federer vient de signer avec la marque Uniqlo un contrat d’un montant estimé à 300 millions de dollars (sur dix ans), Adrian Mannarino, 26e joueur mondial tout de même, jouait avec une chemisette fournie par le tournoi. A l’heure du bilan, le Français faisait le même constat que Belinda Bencic: «Federer t’oblige à bien jouer tout le temps.» Pas de doute, le niveau se resserre. D’une certaine manière, il était temps.

«Angelique Kerber ramène tout, oblige toujours à jouer un coup de plus, à être à la limite» BELINDA BENCIC

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