Le Temps

Une découverte chinoise pourrait bouleverse­r l’histoire de l’Homme

- FLORENCE ROSIER

La migration des premiers «Homo» hors d’Afrique pourrait dater de 2,1 millions d’années, avance une étude chinoise parue dans «Nature» le 11 juillet

C’est une histoire pleine de bruit et de fureur; une histoire mouvementé­e, dans son passé comme dans son récit actuel, sans cesse revue à la lueur des nouvelles trouvaille­s archéologi­ques. Cette histoire, c’est l’épopée de la «conquête» de la planète par nos lointains ancêtres et leurs cousins, à mesure qu’ils s’aventuraie­nt sur des terres inconnues et qu’ils essaimaien­t plus loin – quand leur odyssée ne tournait pas court. Qui sont ceux qui ont entrepris ces périples? Quand, comment, et selon quels chemins migratoire­s?

L’épisode relaté le 11 juillet dans la revue Nature, s’il est confirmé, pourrait «révolution­ner le modèle actuel du peuplement de la planète par le genre Homo», estime le professeur Jean-Jacques Hublin, du Collège de France et de l’Institut MaxPlanck à Leipzig. Mais «il faut

Cette quête des plus anciens «Homo» prend souvent l’allure d’une course au pays qui abritera le berceau de l’humanité

être sûr de son coup, quand on annonce de tels résultats», ajoute le découvreur, en 2017, du plus vieux représenta­nt connu de notre espèce, Homo sapiens, qui vivait il y a environ 315000 ans dans l’actuel Maroc.

Nos ancêtres présumés

Les premiers Homo auraient quitté l’Afrique, berceau de l’humanité,

250000 ans plus tôt que prévu. Telle est du moins la thèse que défend cette étude, cosignée par des équipes de l’Académie des sciences de Chine et de l’Université d’Exeter (Royaume-Uni). Ces chercheurs ont découvert des cailloux taillés, au nord de la Chine, dans des sédiments qui dateraient de 2,1 millions d’années. Jusqu’ici, les traces les plus anciennes d’Homo hors d’Afrique remontaien­t à 1,85 million d’années – en Georgie. Fait rare, elles combinaien­t des outils à des restes fossiles d’Homo erectus, espèce aujourd’hui éteinte.

Cailloux de quartzite

Cette époque, soulignons-le, est donc très antérieure à l’apparition d’Homo sapiens. Ici, quelques jalons s’imposent. Nos premiers ancêtres putatifs, qui ne sont pas du genre Homo, sont Toumaï (Sahelanthr­opus tchadensis, découvert au Tchad, et daté à 7 millions d’années) et Orrorin (Orrorin tugenensis, Kenya, 6 millions d’années), et des australopi­thèques comme la fameuse Lucy (Ethiopie, 3,2 millions d’années).

Le genre Homo, lui, regroupe plusieurs espèces dont Homo rudolfensi­s, le plus ancien Homo

connu après la découverte en 2015 d’une mandibule fossilisée et datée à 2,8 millions d’années. Vinrent ensuite H. Habilis et H. erectus, aujourd’hui disparues, et H. sapiens, la seule à avoir survécu. Selon le scénario actuel, notre espèce, apparue il y a au moins 315000 ans, serait sortie d’Afrique voilà 175000 à 200000 ans. Mais bien avant elle, d’autres Homo ont tenté l’aventure.

L’étude publiée dans Nature a été conduite sur le vaste plateau de Loess en Chine, au nord du pays, souvent considéré comme le berceau de l’agricultur­e et de la civilisati­on chinoises. En explorant ces sédiments de loess (une terre meuble et fertile, formée d’éléments fins, jaunâtres, transporté­s par le vent), les auteurs n’ont trouvé aucun reste d’Homo. Mais dans 17 couches, ils ont découvert des cailloux taillés de quartzite (une roche formée de cristaux de quartz soudés). Ces outils archaïques témoignent de la présence répétée – pas nécessaire­ment continue – d’Homo sur une période qui s’étend de -2,1 millions à -1,3 millions d’années, assurent les auteurs.

D’où viennent leurs estimation­s? Ces gisements ne contenaien­t aucune roche volcanique qui aurait laissé une empreinte chimique typique d’une période donnée. Les chercheurs ont donc eu recours à une autre approche: le paléomagné­tisme, qui analyse le champ magnétique passé de la Terre, «fossilisé» dans les roches. Au fil des temps géologique­s, ce champ s’est inversé des dizaines de fois, à des dates connues. Dans un sédiment donné, on peut donc mesurer sa polarité et la corréler à une époque.

Biais possibles

«Mais ce n’est pas une datation précise, tempère Jean-Jacques Hublin. Cette méthode a déjà donné lieu à des erreurs, à cause de décalages dans les périodes attribuées à une couche donnée.» Le chercheur pointe une autre limite: la pente très raide de ce gisement. «Le long d’une telle pente, des outils ont pu glisser ou se faufiler dans des fissures du loess.» Ce qui invalidera­it l’analyse. Dernier biais, cette quête des plus anciens Homo prend souvent l’allure d’une course au pays qui abritera le berceau de l’humanité. «Les Chinois adorent ça», glissent plusieurs experts. La prudence est donc de mise.

«Le trajet d’environ 14000 kilomètres qui sépare l’Afrique de l’Est de l’Asie orientale représente une expansion considérab­le, commente de son côté dans Nature John Kappelman, expert en paléomagné­tisme à l’Université du Texas, qui n’a pas participé à l’étude. La dispersion des hominidés a probableme­nt été facilitée par leur essor démographi­que, à mesure qu’ils colonisaie­nt de nouveaux territoire­s en occupant des niches vides. Elle pourrait aussi avoir été mue par un phénomène d’épuisement des ressources.»

Identité mystère

Avec une vitesse migratoire de seulement 5 à 15 kilomètres par an (compatible avec le périmètre d’exploratio­n quotidien des chasseurs-cueilleurs actuels), cette distance «pourrait avoir été franchie en seulement 1000 à 3000 ans», ajoute-t-il. Reste une énigme de taille: qui furent ces tailleurs de cailloux archaïques? «On peut tout imaginer», note Jean-Jacques Hublin.

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