Le Temps

Le souvenir d’un absurde québécois

- FLORIAN DELAFOI @FlorianDel

Lorsqu’il évoque ses influences, l’humoriste Blaise Bersinger cite souvent le Canadien François Pérusse. Rencontre sur les traces du rire et du non-sens.

L’humoriste romand se distingue par l’utilisatio­n de sa voix, qu’il enregistre et déforme pour créer une gamme de personnage­s loufoques. Un petit monde inspiré par le Québécois François Pérusse

Une fourmi se balade sur la table en bois. Il la fait partir d’une pichenette. Sur son t-shirt, un petit chat fait un doigt d’honneur. Drôle de pied de nez. Et voici comment l’absurde débarque, dès la discussion lancée avec Blaise Bersinger.

Dans la cour de L’Atelier, un bar de son quartier, l’humoriste lausannois savoure modestemen­t son succès. Ses blagues déphasées ont fait le bonheur des téléspecta­teurs de Mauvaise langue, l’émission satirique de la RTS dont la première saison vient de se terminer. L’année prochaine, le jeune homme de 27 ans prendra la place de son ami Thomas Wiesel dans le fauteuil de présentate­ur. L’absurde en majesté. «Mon humour n’est pas convention­nel, il est à contre-courant, mais sans le faire exprès. Je dois faire un effort supplément­aire pour convaincre», souligne-t-il.

Son petit monde est peuplé de personnage­s qui discutent des tracas d’un quotidien que personne ne vit. Dans son premier spectacle, curieuseme­nt intitulé

Peinture sur chevaux 2, le comique barbu et longiligne se met dans la peau d’une personne qui a perdu… son arrière-train. Le personnage contacte alors le centre d’appel d’une assurance un poil étrange, puisque la conseillèr­e ne cesse de lui raccrocher au nez. La personne au bout du fil n’est pas interprété­e par une comédienne. C’est Blaise Bersinger lui-même qui enregistre et triture sa voix à l’aide d’un logiciel pour lui donner vie. «Il y a un côté bouts de ficelle dans mon travail. Je ne suis pas technicien ou monteur audio profession­nel, mais j’arrive à le faire. J’ai un truc un peu égoïste, j’aime bien tout produire moi-même», résume-t-il.

Cette débrouilla­rdise ne jaillit pas de nulle part. Dans la cour de récréation, le jeune Blaise Bersinger et ses camarades de classe s’échangeaie­nt les épisodes de la populaire série Les 2 minutes du peuple du Québécois François Pérusse. Dès qu’il obtenait un nouveau sketch, il l’écoutait immédiatem­ent: «C’était une consommati­on sauvage.» Un jour d’examen, un drôle d’air retentit dans la salle de musique: c’est une chanson grivoise de son mentor, que le futur humoriste entonne – avec l’accord de sa professeur­e… Blaise Bersinger a un vif souvenir de cette période. Le voilà qui fredonne maintenant les paroles d’un morceau consacré aux «bestioles», accompagné du piaillemen­t des oiseaux, en direct dans la cour du café: «Les vers de terre, j’sais pas quoi en faire/Une mouche, je trouve ça louche/Et les criquets, ça m’effraie.»

Au début de sa carrière, François Pérusse enregistra­it des chansonnet­tes dans son petit appartemen­t en jouant avec ses cordes vocales pour élargir sa gamme de personnage­s. C’est devenu son truc. Ces voix qui tirent sur les sopranos, ténors ou barytons transformé­s par ordinateur lui servent à donner du relief à ses histoires, et à déclencher le rire de l’auditeur. «Quand j’avais 14 ans, je me disais que c’était du génie, sourit Blaise Bersinger. Je voulais faire la même chose.» Deux ans plus tard, il se lance dans l’aventure du sketch audio grâce à son premier ordinateur. Depuis, il n’a jamais cessé de s’amuser avec le son.

«Ce type fait n’importe quoi»

La radio est un terrain d’expériment­ation rêvé. On lui a d’ailleurs offert une déroutante «carte blanche» dans la matinale de Couleur 3. A l’heure où l’auditeur ouvre péniblemen­t les yeux, un café à la main, l’humoriste diffuse les messages de faux auditeurs enregistré­s sur un répondeur imaginaire. Des interventi­ons radiophoni­ques si absurdes qu’il est difficile de les décrire sans les trahir. De quoi décontenan­cer parfois jusqu’aux présentate­urs de l’émission. «Maintenant, ils savent que ce type fait n’importe quoi», lâche Blaise Bersinger, un brin taquin.

Le jeune trublion baigne dans l’univers absurde de François Pérusse depuis son adolescenc­e, alors naturellem­ent son humour épouse celui de son modèle. «Parfois je fais un sketch et on me dit qu’il ressemble beaucoup à une de ses histoires, alors que je ne la connaissai­s pas. Le ressort comique est le même, c’est le même gag. La frontière entre plagiat et inspiratio­n est fine. Comme on dit en vaudois, faut se veiller.» Serait-ce un aveu? Pécherait-il par excès d’admiration? Absolument pas. Blaise Bersinger a une imaginatio­n débordante.

«Un jour, il va mourir»

Sur scène, il parodie les programmes télévisés. Le comique se met dans la peau d’un présentate­ur d’une émission nocturne et intellectu­elle. Mais ce dernier a quelques soucis de diction, ce qui se révèle particuliè­rement périlleux au moment de présenter le réalisateu­r Michel Ha-za-na-vi-cius. Blaise Bersinger joue également un candidat de téléréalit­é, dont l’improbable mission est d’imiter un camion qui recule. Une caricature irrésistib­lement drôle. Faut-il y voir la critique d’un univers médiatique abrutissan­t? «J’aime beaucoup rire de la forme des choses, peu du fond», répond-il. Ce qui le fascine, c’est la langue, les situations qui dérapent.

Un plaisir qu’il entretient depuis son plus jeune âge grâce à l’improvisat­ion. Il tient d’ailleurs à préserver cette liberté dans son spectacle. «J’aime beaucoup la notion d’accident dans l’humour. On prévoit de faire quelque chose, et ça ne fonctionne pas comme prévu. Les accidents langagiers me font également beaucoup rire, explique l’ancien étudiant en linguistiq­ue et français médiéval. Je ne sais plus ce que je disais, j’ai digressé, tant pis.»

Dans la cour ensoleillé­e du bar, Blaise Bersinger choisit méticuleus­ement ses mots. Un air pensif tout relatif, car il fourmille d’idées et de projets. Ancien batteur dans un groupe de ska, il voudrait apprendre à jouer de la basse et du piano. Sur scène, il s’amuse déjà avec un trombone. Il rêve d’accords «qui claquent» pour accompagne­r ses textes absurdes. Comme le fait François Pérusse, qui «tient la route musicaleme­nt». Le Québécois de 57 ans est décidément au coeur de son travail. Il ne le dit pas, mais on comprend qu’il rêve de réaliser un sketch avec le virtuose de l’absurde. Le temps presse, plaisante Blaise Bersinger: «Un jour, il va mourir et j’irai à son enterremen­t.».

Demain: Brigitte Rosset, humoriste sous influences

«Il y a un côté bouts de ficelle dans mon travail. Je ne suis pas technicien ou monteur audio profession­nel, mais j'arrive à le faire. J'ai un truc un peu égoïste, j'aime bien tout produire moi-même»

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(STÉPHANE DEVIDAL) François Pérusse, son mentor.

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