Ce jour de 1968
Quinze mois après le coup d’Etat à Athènes, le régime autoritaire ne souffre aucune opposition. Il torture, emprisonne ses opposants et verrouille tous les pouvoirs
Il y a 50 ans jour pour jour, la Gazette de Lausanne analysait les dérives de la dictature des colonels en Grèce. Retour sur une archive.
A l’été 1968, cela fait une quinzaine de mois que la dictature des colonels détient le pouvoir politique en Grèce, qu’elle conservera jusqu’en 1974, au nom de la lutte contre le communisme et pour le rétablissement de l’ordre social. Elle a déjà provoqué l’exil du roi Constantin II, monté sur le trône en 1964, et est issue du coup d’Etat de la junte militaire alors dominée par Georgios Papadopoulos. Son régime transforme plusieurs îles en bagnes et promeut l’intrusion en politique de l’Eglise orthodoxe, dont la hiérarchie lui apporte son soutien. Pour les opposants, les étudiants et les intellectuels s’ouvre alors une période de terreur, jonchée de déportations, tortures et emprisonnements.
Premier ministre, Papadopoulos «a le plus profond mépris pour ce qu’il appelle la rue», fait remarquer François Landgraf, le 12 juillet 1968, dans son éditorial publié à la une de la
Gazette de Lausanne. D’ailleurs, ajoute-t-il, cette rue «a été mise au pas et nettoyée de ses détritus politiques», en vue d’introduire un «ordre nouveau». Ironie de l’Histoire, si on la compare aux Etats-Unis après l’assassinat de Robert Kennedy ou à la France des «barricades», «la Grèce est un pays calme et sans violences spectaculaires».
«Les germes du mal»
Apparemment. Car «les germes du mal sont déjà enracinés dans les articles juridiques autant que dans la réalité» et, «étant donné que toute critique contre le régime expose à une arrestation ou à une déportation sans inculpation ni jugement», les colonels veulent passer en force pour «légaliser» le régime dans une nouvelle Constitution. Il se durcit donc «et accroît sa lutte contre ses derniers adversaires réels ou supposés». Avec de multiples «procès pour l’exemple» ou avec «la mise à la retraite par dizaines d’officiers fidèles à Constantin», qui «démontrent amplement que la junte est résolue à ne tolérer aucun écart, aucune opposition».
Grosso modo, comme le montre le résumé de la Gazette, le projet de nouvelle Constitution «restreint les pouvoirs du roi», qui ne conserve sa couronne qu’à titre honorifique. Mais surtout ceux du parlement, qui «n’aura à se prononcer que sur des textes législatifs d’importance mineure». En réalité, législatif et exécutif s’y confondent, car le gouvernement pourra «édicter des décrets» qui auront force de loi. Tout emploi dit «abusif» des libertés personnelles sera «sanctionné» et «si la presse est libre, elle ne peut émettre aucune critique contre le régime». L’armée chapeaute le tout, elle «devient une force constitutionnelle de protection du régime politique et social».
L’année 1968 fut cependant difficile pour la dictature. Le résistant centriste Alexandros Panagoulis tentera d’assassiner le colonel Papadopoulos un mois plus tard et fut pour cela condamné à mort. Mais une très forte mobilisation de l’opinion publique internationale permit d’éviter son exécution. De plus, les obsèques de l’ex-premier ministre libéral Georges Papandréou, décédé en résidence surveillée, furent l’occasion de grandes manifestations contre le régime. Jusqu’à la chute finale de la dictature, en 1974 après la crise chypriote, qui menaçait de dégénérer en guerre ouverte contre la Turquie, Cela, une année après que Papadopoulos eut aboli la monarchie et proclamé la République, à la présidence de laquelle il s’était propulsé, en 1973.
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