Mais encore…
Le Fribourgeois de 29 ans est le lauréat du prestigieux Concours Michel Nançoz à Genève. Tête-à-tête avec un avocat qui estime que la flamme de Cicéron peut être décisive, quel que soit le dossier
Rencontre avec un as du verbe, la chronique de Servan Peca, une visite au château de Gorgier, les mots fléchés…
Un garçon qui parvient à faire accroire que les homards sont des disciples d’Epictète, qu’ils sont par nature stoïciens, ne peut être que merveilleusement timbré. Paul Michel, 29 ans, est de ce lignage. Au printemps, cet avocat a démontré avec une ferveur mêlée de malice que les décapodes marcheurs acquièrent, dans la vase de leurs pérégrinations, une sagesse qui les prépare au pire, au trépas par ébouillantage par exemple.
Vous vous pincez, lecteur? Le Fribourgeois Paul Michel, qui exerce aujourd’hui dans une étude genevoise, participait, comme 15 autres rhéteurs, au Concours Michel Nançoz – une institution à Genève. Sa mission? Disculper un maître-queux du coin accusé d’avoir violé une loi stipulant que tout crustacé doit être étourdi avant d’être mis à mort. Il a montré qu’un tel dispositif ne s’appliquait pas à un émule d’Epictète. Les seigneurs du barreau, dont Marc Bonnant et Yaël Hayat, ont adoré ce plaidoyer érudit à la façon de Raymond Queneau, spirituel comme un cadavre exquis. Le verdict du jury? Le premier prix pour Me Paul, comme certains l’appellent parfois.
Les antiques, des amis pour la vie
Une envolée pour la jouissance de l’art? Oui. Une épreuve initiatique aussi pour tout plaideur novice qui aspire au dépassement. C’est ainsi que Paul Michel a vécu cette joute, racontait-il l’autre jour, dans la salle de conférences de son étude. On s’attendait à un Cicéron fougueux. On rencontre un intellectuel dont chaque mot, soupesé pourtant, trahit un théâtre intime. La chemise a beau sangler un corps sec comme celui des clercs d’antan, les lunettes dessiner une austérité estudiantine, ce palpitant aux mains blanches est de ceux qui inventent leur voix, histoire d’écrire le roman de leur vie.
Chez lui, la parole est habitée, un privilège en soi. Sa source? Le berceau familial, dans la grande maison de Fribourg. Son père, Nicolas Michel, maîtrise les arcanes du droit international: il a occupé de hautes fonctions aux Nations unies à New York, a été professeur à l’Université de Genève. Fanny, sa mère, tire d’autres ficelles, celle d’une maisonnée qu’on imagine théâtrale. Paul a deux soeurs, trois frères, une grand-mère française chérie: les jours de fêtes ont des allures d’agora chamailleuse.
A 9 ans, Paul écrit un premier poème pour les beaux yeux d’une camarade. «Vous ne m’épouseriez pas?» lui demande son institutrice qui est tombée sur son cahier de poésie. Corneille et Racine, Baudelaire et Apollinaire seront bientôt ses flambeaux. Il compose des sonnets en alexandrins, histoire de flirter avec le code, de le dérégler en douce. La langue est le champ de tous les désirs. Paul les affinera à New York, où son père est nommé. Il y passera trois ans et un bac qu’on devine brillant. On lui prédit une carrière d’avocat, il se rebiffe. Il s’imagine diplomate comme Paul Claudel, une de ses «idoles».
«Je voulais suivre une autre voie que celle de mon père et de mes deux soeurs qui ont étudié le droit. Je trouvais la matière sèche et ennuyeuse.» Il choisit l’astrophysique à l’EPFL à Lausanne. Mais la paternité le rattrape: il a 20 ans et pousse le landau de sa fille. Il lui faut un métier lucratif. Il se voit ambassadeur: va pour les relations internationales à Genève. C’est là que le droit le happe. «J’en suis tombé amoureux au point de faire un master entre Genève et Bâle, parce que j’estime qu’on ne peut être avocat en Suisse que si on lit et comprend l’allemand.»
Derrière sa table, Paul Michel dépose un peu de sa vie, précis comme on l’est quand on s’intéresse aux étoiles. Son aisance oratoire vient en partie de son père. «Il nous disait de ne pas baisser le ton à la fin d’une phrase, pour ne pas manger les derniers mots, de ne pas craindre non plus d’exagérer la diction en public. Il nous conseillait encore de parler fort, de veiller à sa respiration et à sa posture.» Son éloquence, il la doit aussi à sa fréquentation passionnée de Cicéron, Quintilien et Sénèque. «Ils devraient servir de refuge à toute personne qui ne sait comment commencer un discours.»
Orateur compulsif
Bluff de fort en thème? Paul Michel est au-dessus de cela. Il forge ses clés: pendant un an, il a étudié la théologie et la philosophie à Fribourg. Il jouit de connaître comme de se lancer dans l’arène. S’il a participé au Concours Michel Nançoz, c’est pour «vivre un moment d’éloquence, dans sa beauté».
Mais ce don est-il vraiment utile quand on se spécialise plutôt dans le droit des affaires ou du travail? «La maîtrise écrite des dossiers est essentielle, mais on peut être appelé à plaider, même dans ce cadre. Il faut du tact pour défendre une position sans brusquer la partie adverse.» Dans le futur, Paul Michel se verrait bien défendre des prévenus dans des affaires criminelles, «parce que le pénaliste donne le meilleur de soi au service d’un être blessé plutôt que de son ego». Parmi les avocats qui comptent, il cite le Français Eric Dupond-Moretti, ce puncheur des prétoires qui collectionne les acquittements.
Paul Michel est jouteur. A l’heure du souper, lui et ses amis se lancent des défis. Ils se donnent 5 minutes pour empoigner un sujet pêché dans le marigot de l’actualité. Et pour lui trouver des vertus juridiques et littéraires. L’exercice aiguise son Cicéron. Vous reprendrez bien du homard, Me Paul?
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