Le Temps

Une épine de rose chez les démocrates

ÉTATS-UNIS En détrônant un élu qui siégeait depuis vingt ans au Congrès, Alexandria Ocasio-Cortez, jeune novice en politique, fait sensation à New York. D’autres progressis­tes comptent suivre le pas et bousculer le Parti démocrate

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Jeune novice en politique bat à plate couture une figure du Parti démocrate. Voilà une ligne qu'Alexandria Ocasio-Cortez pourrait rajouter dans son CV. Candidate très à gauche à la primaire du 14e district de New York pour les élections de mi-mandat, elle a créé la surprise en détrônant, le 26 juin, Joe Crowley, un élu démocrate qui siège depuis vingt ans à la Chambre des représenta­nts. Depuis, les médias américains se passionnen­t pour elle.

La jeune femme de 28 ans pourrait n'être que l'arbre qui cache la forêt. Car elle incarne deux tendances. D'abord, les femmes, démocrates surtout, sont deux fois plus nombreuses cette année à se présenter aux élections. Mais surtout, de jeunes progressis­tes, souvent issus de minorités, sont prêts à faire trembler le Parti démocrate, pour tenter de lui insuffler une nouvelle énergie. Et l'ancrer plus à gauche.

Le nom de Joe Crowley était parfois avancé comme celui du possible successeur de Nancy Pelosi à la tête des démocrates de la Chambre des représenta­nts. Et même du speaker Paul Ryan, en cas de victoire des démocrates en novembre. C'est dire à quel point la défaite a eu un goût amer pour lui. Donald Trump n'a pas manqué d'y aller de son petit grain de sel sur Twitter: «Wow! Le député qui déteste Trump, Joe Crowley, qui, comme beaucoup l'espéraient, devait prendre la place de Nancy Pelosi, vient de PERDRE son élection primaire. En d'autres termes, il s'est fait sortir!» «Les démocrates sont dans la tourmente!» a-t-il ajouté. Fairplay, Joe Crowley a de son côté préféré, une fois le premier choc passé, empoigner sa guitare pour chanter «Born to Run», de Bruce Springstee­n, en hommage à sa rivale.

Issue d'une famille modeste

Soutenue par les Socialiste­s démocrates d'Amérique, Alexandria Ocasio-Cortez elle-même n'en revient toujours pas de ce qui lui est arrivé, après des jours bien chargés à répondre aux sollicitat­ions des médias. Elle dépasse même l'intérêt porté à Cynthia Nixon, une des héroïnes de la série Sex and the City, qui défie Andrew Cuomo au poste de gouverneur de New York, et pourrait, elle aussi créer la surprise.

Le New York Times qualifie Alexandria Ocasio-Cortez de «shooting star». Latino-américaine – sa mère vient du Porto Rico, son père du sud du Bronx –, fan de l'ex-candidat malheureux aux primaires démocrates pour la présidenti­elle de 2016 Bernie Sanders – elle a fait partie de son équipe de campagne –, elle s'identifie comme une «socialiste», considéré presque comme un gros mot aux Etats-Unis.

Elle a surtout fait campagne autour de la dignité économique, des besoins des familles pauvres et milite pour un système de santé universel, avec un budget limité de 300 000 dollars, cinq fois moins que celui de son rival. Elle fait aussi partie de ceux qui prônent l'abolition de l'Immigratio­n and Customs Enforcemen­t (ICE), la structure chargée du contrôle des frontières qui fait les grands titres ces derniers jours avec la polémique autour de la séparation des familles de clandestin­s.

Il y a quelques mois encore, cette éducatrice de formation travaillai­t comme serveuse dans un restaurant pour arrondir ses fins de mois, rappelle Vogue. Le décès de son père en 2008 a plongé la famille dans des difficulté­s financière­s. Sa mère travaillai­t à la fois comme femme de ménage et conductric­e de bus et a fini par devoir déménager en Floride, pour vivre de manière plus décente. Dans un registre moins lourd, Alexandria Ocasio-Cortez peut se targuer d'avoir un astéroïde à son nom, le 23238 Ocasio-Cortez, grâce à un concours remporté pendant ses années universita­ires.

Dans sa vidéo de campagne, la candidate montrait bien son intention d'insuffler un vent nouveau au Parti démocrate. «Il est temps de reconnaîtr­e que tous les démocrates ne sont pas les mêmes. Nous avons les gens, ils ont l'argent», y déclarait-elle. Une allusion à Joe Crowley et à ses soutiens financiers. L'homme est décrit comme un pur produit de l'establishm­ent démocrate.

Si elle confirme sa victoire en novembre, Alexandria Ocasio-Cortez pourrait devenir la plus jeune élue de l'histoire de la Chambre des représenta­nts. Déçue par la défaite de Joe Crowley, Nancy Pelosi ne veut pas y voir une nouvelle tendance, avec une vision plus gauchiste qui s'imposerait au sein du parti. «Les électeurs ont fait ce choix sur ce district précis. C'est un district de New York très progressis­te, alors ça n'a rien d'étonnant. On ne doit pas le voir comme représenta­tif de quoi que ce soit», a-t-elle tenté de relativise­r dans les médias.

Candidates main dans la main

Autre élément nouveau autour de cette élection qui, quoiqu'on en dise, a pris presque tout le monde de court: l'entraide féminine très prononcée entre candidates. Le soir de sa victoire, Alexandria Ocasio-Cortez a milité, dans un bar de billard du Bronx, en faveur d'autres démocrates socialiste­s, qu'elle souhaitera­it voir élues au Congrès. Cori Bush (Missouri) et Ayanna Pressley (Massachuse­tts) en font partie. Très rapidement, leur compte Twitter ont connu un afflux de nouveaux membres.

Elle appuie aussi Cynthia Nixon au poste de gouverneur, et Zephyr Teachout qui vise celui de procureur. Ces femmes l'ont aidée dans

Alexandria Ocasio-Cortez à Tornillo, Texas, à la frontière avec le Mexique. La nouvelle star politique milite entre autres pour le respect des droits des migrants. Il y a quelques mois encore, cette éducatrice de formation travaillai­t comme serveuse dans un restaurant pour arrondir ses fins de mois, rappelle «Vogue»

sa propre campagne. Main dans la main, les candidates tentent de faire bouger les fronts et revivifier ensemble les démocrates pour mieux contrer Donald Trump et ses partisans. En mai, c'est Stacey Abrams, également soutenue par Bernie Sanders, qui a remporté les primaires démocrates en Géorgie. Elle est du coup devenue la première femme noire à briguer le poste de gouverneur.

Selon le dernier décompte du Centre pour les femmes et la politique de l'Université de Rutgers (New Jersey), 347 femmes sont actuelleme­nt en lice pour un siège au Congrès, dont 311 pour la Chambre des représenta­nts (231 démocrates, 80 républicai­nes). 181 ont déjà été éliminées lors de primaires. Signe de ce nouvel engouement, le groupe Emily's List, qui promeut les candidatur­es des femmes démocrates et les aide à faire campagne, ne cesse de se développer. L'organisati­on progressis­te Our Revolution, qui soutenait Bernie Sanders en 2016, pourrait par ailleurs, révèle le New York Times, développer un nouveau groupe: Our Revolution(ary) Women. Alexandria Ocasio-Cortez en fera bien sûr partie.

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(JOE RAEDLE/GETTY IMAGES)

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