La guerre du ketchup américain fait rage au Canada
La joute commerciale entre le Canada et les Etats-Unis commencée le 1er juin dernier a déjà fait une première victime côté américain, le ketchup Heinz. Surtaxé à l’importation, Kraft Heinz veut redorer son blason auprès des Canadiens
La guerre du ketchup bat son plein entre Washington et Ottawa et, à l’image de cette sauce utilisée pour les scènes de meurtre dans les films, la bataille est sanglante. Après l’annonce de Donald Trump d’imposer des droits de douane sur l’aluminium et sur l’acier canadiens dès le 1er juin, le premier ministre Justin Trudeau a répliqué aux attaques tarifaires de Washington en taxant pour 16,6 milliards de dollars canadiens (12,55 milliards de francs) des biens américains.
Parmi les produits américains visés, l’emblématique ketchup fabriqué par le géant alimentaire Kraft Heinz. L’imposition de droits de douane de 10% sur le ketchup de l’Oncle Sam est un coup dur pour la filiale canadienne. L’entreprise n’a déjà pas la cote auprès des Canadiens depuis qu’elle a fermé en 2014 une usine de production de ketchup à Leamington, en Ontario, pour se relocaliser aux Etats-unis, provoquant le licenciement de plus de 700 employés. La décision du géant américain avait provoqué une vive émotion dans la province.
Tomates canadiennes pour French’s
A peu près au même moment, une société locale, Highbury Canco, a racheté l’usine. Elle a conclu en 2016 un partenariat avec la firme French’s, un distributeur de ketchup. Et tout a changé depuis. French’s s’est engagée à n’utiliser que des tomates canadiennes dans ses pots de ketchup. En deux ans, la part de marché de Kraft Heinz a chuté de 5% et celle de French’s a doublé à environ 8%. Si Kraft Heinz domine toujours le marché du ketchup au Canada, de l’ordre de 76%, la guerre commerciale entre les deux pays voisins pourrait lui coûter cher. Pour ne rien arranger, Justin Trudeau a visité l’usine French’s à Leamington le 1er juillet dernier, jour de la fête nationale du Canada. Tout un symbole.
Dans cette guerre du ketchup, les protagonistes ne sont pas d’un côté Américains et de l’autre Canadiens, mais bien deux firmes des Etats-Unis. Si French’s appartient à McCormick & Co, une société du Maryland, l’entreprise a su jouer sur la fibre patriotique canadienne et respecter sa clientèle de Québec à Toronto. Le groupe américain dispose d’un site internet en français, a disposé une feuille d’érable sur les étiquettes de son ketchup et un imbattable slogan «Tomates canadiennes».
Kraft Heinz contre-attaque
Touché mais pas coulé, Kraft Heinz se défend bec et ongles pour redorer son blason. La multinationale a embauché des lobbyistes pour vendre son produit auprès des médias et de l’opinion publique, provoquant le plus souvent des titres ironiques dans les médias canadiens. «Ne nous haïssez pas, plaide un manufacturier américain de nourriture canadienne», a titré récemment le quotidien The Windsor Star.
Le vice-président des affaires corporatives et légales de Kraft Heinz Canada, Av Maharaj, a multiplié les communiqués cauteleux. «Kraft Heinz est fortement en faveur du libre-échange et des puissants avantages que cela génère aussi bien aux travailleurs qu’aux consommateurs au Canada et aux Etats-Unis.» Et le géant du ketchup d’égrener tout ce qu’il aurait apporté aux Canadiens. Le groupe veut lutter contre la faim et «a donné 50 millions de dollars à des banques alimentaires au Canada ces cinq dernières années». L’entreprise assure également militer pour défendre l’environnement. Elle aurait distribué 350000 repas aux plus nécessiteux et aurait donné 400000 dollars aux petits Canadiens malades.
Dans cette campagne de relations publiques, Av Maharaj a rappelé qu’audelà de toutes ces bonnes actions, l’entreprise emploie plus de 2000 personnes au Canada et des milliers d’autres indirectement. Un rappel au goût de mise en garde, dont le ton n’encouragera pas forcément les Canadiens à consommer plus de ketchup Heinz.