Le Temps

Brigitte Rosset, l’arme de l’humour contre le marasme du quotidien

Ses grands-pères, Philippe Cohen, Georges Wod… Les racines de l’artiste sont multiples et ont chacune apporté une pierre à l’édifice de sa carrière

- CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

C’ était chaque fois un jour de fête. Il venait en fin de journée, tiré à quatre épingles. Elle avait vêtu sa plus jolie robe et, ensemble, ils traversaie­nt le parc des Bastions, à Genève, main dans la main jusqu’à l’opéra. Abonné, son grand-père y avait une place réservée et une habitude: acheter deux délices au beurre à l’entracte. Brigitte Rosset devait avoir 4 ou 5 ans, peut-être 6.

Elle nous a donné rendez-vous sur la terrasse d’un café chic de Genève et sirote un soda en songeant au passé. Pour elle, il est impossible de trouver une seule et unique influence à sa carrière d’humoriste. «Il est clair qu’elles sont multiples», commence-t-elle. D’abord, il y a eu Eric Martin, son grand-père maternel. Médecin renommé de la ville du bout du lac, on le disait grand orateur et fin chroniqueu­r pour la Gazette de Lausanne. C’est lui qui l’emmenait à l’opéra.

Partout, le spectacle

C’était des instants magiques. Les décors, les chants et les costumes étaient féeriques et son coeur de petite fille vibrait lorsque les choeurs d’enfants s’élevaient. Mais un élément lors de ces soirées lyriques l’a marquée par-dessus tout. Sur le fauteuil d’à côté, une dame, une abonnée aussi, portait un décolleté très généreux. Pour la jeune enfant, voir cette poitrine blanche, extraordin­aire, se soulever au gré des respiratio­ns de sa propriétai­re était un spectacle prodigieux.

Ce n’est de toute évidence pas cette vision qui a poussé la comédienne à monter sur scène. Mais peut-être savait-elle déjà à cette époque que le spectacle se trouvait autant sur les planches que dans le public autour d’elle.

Aujourd’hui, c’est dans les expérience­s de sa vie quotidienn­e et de son passé qu’elle tire l’inspiratio­n nécessaire à ses créations. Son dernier solo, Carte blanche, met en scène une semaine de jeûne endurée dans les Alpes-de-Haute-Provence. Dans le prochain spectacle, prévu en octobre, aux côtés de son camarade Frédéric Recrosio, elle parlera d’amitiés et sondera ce rapport étrange que l’on partage avec nos proches.

La beauté du détail

Avant cela, elle a décortiqué les préparatif­s de mariage dans Voyage au bout de

la noce. Elle a ensuite évoqué les frasques de la maternité dans Suite matrimonia­le

avec vue sur la mère. Et, en 2011, avec

Smarties, Kleenex et Canada Dry, elle a dépeint les instants aussi cocasses que bouleversa­nts vécus lors de son séjour à la clinique des Lucioles. Sa carrière d’humoriste décolle alors qu’elle décrit une des périodes les plus rudes de son existence. L’attention portée aux détails a été une arme parmi d’autres pour sortir du marasme dans lequel elle avait plongé un instant de sa vie. «L’esprit d’analyse et d’observatio­n permet de prendre du recul. Et pour faire de l’humour, il faut de l’air», affirme la comédienne.

A l’entendre, elle n’a jamais eu l’ambition de monter sur scène avant d’y être. Il semblerait que le théâtre se soit imposé à Brigitte Rosset naturellem­ent. En fait, elle voulait juste se démarquer des autres. Son ambition d’abord, c’était d’être jardinière, un peu comme son autre grand-père, Edouard Rosset, passionné de botanique. C’est peut-être lui d’ailleurs qui lui a enseigné l’importance du détail, lorsqu’il courbait sa longue silhouette sur les fleurs alpines et l’exhortait à porter toute son attention sur la beauté dissimulée dans une fleur, aussi minuscule soit-elle.

Le pouvoir du rire

L’attraction de la nature était forte, mais un matin au réveil, elle découvre le pouvoir de l’humour. A une personne qui lui a demandé de quoi elle a rêvé, Brigitte Rosset, encore toute petite, répond: «De pommes de terre.» Evidemment, l’assemblée s’esclaffe. Presque autant que devant les mimiques de Louis de Funès. Brigitte, elle se sent exister. «En faisant rire les gens, j’avais l’impression d’être valorisée. J’étais la cadette d’une fratrie de quatre enfants. Il a fallu que je trouve ma place. J’ai choisi celle de la petite dernière marrante.» Plus tard, alors que ses aînés vont à l’université, elle choisit l’Ecole de commerce. Une façon de faire différemme­nt et accessoire­ment d’éviter le latin. C’est là que tout commence. Dans la forme, c’est une succession de rencontres. Dans le fond, ce sont les contours d’une existence de comédienne qui se dessinent.

Philippe Cohen, rencontre décisive

Ils sont adolescent­s, ils forment une bande. Il y a Brigitte Rosset, Gaspard Boesch, déjà, et Laurent Nicolet aussi. Ils sont compères, ils sont complices. Ils se marrent, font des sketchs sur les profs et se filment. Un jour, dans le cadre d’une journée culturelle organisée à l’école, apparaît Philippe Cohen. L’humoriste joue à l’époque Le Cid improvisé, il prend la bande sous son aile. «Philippe Cohen nous a fait découvrir l’improvisat­ion. Il nous a emmenés au théâtre voir François Silvant qu’il mettait en scène. Pour nous, ça a été une rencontre décisive», se souvient la comédienne.

Plus tard, l’entrée en scène de Georges Wod, alors directeur du Théâtre de Carouge, fait prendre un nouveau tournant à la vie de Brigitte Rosset. Alors qu’elle n’est pas encore profession­nelle, l’homme mise sur elle et l’engage dans une tournée en Russie. Un univers s’offre à elle. Elle est fascinée. «J’étais entourée de vieux de la vieille qui avaient participé au Festival de Baalbeck au Liban.» A partir de là, plus jamais elle ne quittera la scène. Plus jamais non plus, elle ne perdra Philippe Cohen et Georges Wod des yeux.

Sans doute est-ce grâce au premier qu’elle s’est lancée dans les solos. Elle lui doit aussi ce style épuré. Lors de ses one woman shows, à elle seule et sans artifices, elle incarne une foule. Chaque personnage se distingue par un simple détail. Une ligne, une posture, un rictus. Un accessoire peut-être. Tant d’éléments qu’elle répertorie dans sa banque de données mentale ou sur les pages de ses carnets dont elle ne se sépare guère. «Les différents personnage­s qui s’enchaînent, c’est du Philippe Cohen», confirme-t-elle.

Au fil du temps, elle s’est constitué comme une famille sur scène. Pourrait-elle faire de l’humour en s’affranchis­sant de ses personnage­s? «Du stand-up par exemple? Non, j’ai besoin d’eux pour me cacher. Ce sont eux qui ont quelque chose à raconter.» Elle est modeste, Brigitte Rosset.

La semaine prochaine:

Un été à la cool sur les lacs suisses

«En faisant rire les gens, j’avais l’impression d’être valorisée. J’étais la cadette d’une fratrie de quatre enfants. Il a fallu que je trouve ma place. J’ai choisi celle de la petite dernière marrante»

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(STÉPHANE DEVIDAL) Philippe Cohen, un de ses mentors.

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