Le Temps

Enquête sur les thérapies de la dernière chance

Face à des patients qui ne répondent plus aux thérapies standard, des traitement­s de la dernière chance sont parfois envisagés, qui peuvent se révéler particuliè­rement efficaces. Ces pratiques nécessiten­t cependant un encadremen­t éthique

- SYLVIE LOGEAN t @sylvieloge­an

Pour des patients qui ne répondent plus aux traitement­s standard, des thérapies expériment­ales sont parfois utilisées avec l’accord des premiers concernés. Cette pratique choc mais au périmètre encore flou, sans être magique, se révèle parfois efficace

C’est l’histoire d’un patient du CHUV au seuil de la mort en raison d’anomalies cardiaques. Celui-là donne son accord pour un traitement expériment­al, basé sur l’administra­tion ciblée de rayons X sur des foyers tissulaire­s responsabl­es. Une première sur un cas aussi difficile. Trois mois plus tard, le patient sortait du CHUV.

Cette belle histoire médicale ne doit pas faire oublier les issues plus tragiques. Dans tous les cas, les malades sont avertis que ces traitement­s reposent davantage sur un espoir fondé que sur des évidences scientifiq­ues. Aux HUG, une petite fille de 3 mois atteinte d’une maladie orpheline inflammato­ire a pu être sauvée grâce à un médicament prévu pour soigner d’autres pathologie­s. L’enjeu à l’avenir sera de mieux encadrer cette pratique, d’un point de vue à la fois juridique et éthique, pour éviter de faire le jeu des charlatans, comme le raconte notre enquête.

Le cas était pratiqueme­nt désespéré. Atteint de graves anomalies du rythme cardiaque, le patient d’Etienne Pruvot, professeur et médecin adjoint en cardiologi­e au CHUV à Lausanne, voyait son état se dégrader rapidement. Le traitement standard des arythmies ventricula­ires, à savoir l’ablation manuelle par radiofréqu­ence, ne donnait plus de résultats suffisants et l’homme de 76 ans, intubé depuis douze jours aux soins intensifs, était au seuil de la mort. Jusqu’à cette interventi­on de la dernière chance.

Nous sommes alors en octobre 2017, et le malade et sa famille donnent leur accord pour tenter un traitement expériment­al, utilisé quelques semaines auparavant sur un premier patient moins lourdement atteint. Le réaliser sur un cas aussi difficile relève de la première mondiale, dont la procédure est aujourd’hui décrite dans la revue Radiothera­py and Oncology. En étroite collaborat­ion avec le service de radio-oncologie du professeur Jean Bourhis, il est décidé d’utiliser un appareil servant habituelle­ment à traiter les tumeurs – le Cyberknife –, capable d’envoyer de fortes doses de rayons X de manière extrêmemen­t ciblée, afin d’éradiquer les foyers tissulaire­s à l’origine des arythmies les plus importante­s présentes sur le septum du patient, une zone séparant les deux ventricule­s du coeur particuliè­rement difficile à traiter.

Le résultat dépasse toutes les attentes des médecins: «Nous avons pu extuber le patient trois jours après. Lorsqu’il est sorti de réanimatio­n, il n’avait pratiqueme­nt plus de tachychard­ie ventricula­ire [lorsque le coeur bat trop rapidement, ndlr] détectable, se réjouit Etienne Pruvot. Il a même pu rentrer chez lui trois mois plus tard.» Depuis, plusieurs personnes atteintes de troubles du rythme cardiaque ont pu être traitées avec la même méthode, qui a également été testée avec succès aux Etats-Unis sur une poignée de malades. Une étude clinique devrait donc bientôt être mise en place, conjointem­ent avec l’Hôpital de l’Ile à Berne, afin d’évaluer si cette technique peut, à l’avenir, remplacer la thérapie standard par cathéter dans certaines indication­s complexes.

Exigences éthiques

Pour pouvoir tenter cette thérapie, dont seul le principe de faisabilit­é avait été étudié jusque-là, les médecins lausannois ont dû répondre à de nombreuses exigences éthiques. «Nous avons, par exemple, dû démontrer que nous n’avions pas mis de pression sur le patient dans le but qu’il accepte le traitement pour des raisons autres que son bien, explique Jean Bourhis. Cela a été un long processus, qui a notamment contribué à la mise en place d’une directive institutio­nnelle définissan­t le cadre des futurs traitement­s expériment­aux conduits dans l’hôpital, l’une des conditions étant que le patient se trouve dans une impasse thérapeuti­que, ou alors atteint d’une maladie mortelle ou pouvant créer de graves complicati­ons.»

Alors que le Congrès américain a approuvé, fin mai, une loi controvers­ée permettant à des patients en phase terminale d’essayer des traitement­s expériment­aux encore non autorisés par les autorités sanitaires américaine­s (FDA) – avec le risque d’exposer les malades à des charlatans peu scrupuleux –, il faut savoir qu’en Suisse il n’existe pas de normes spécifique­s régissant de manière exhaustive, au niveau fédéral, l’usage d’interventi­ons expériment­ales pour tenter d’aider un malade hors du cadre d’une recherche clinique. En clair? «Cela recoupe les cas de patients où toutes les méthodes démontrées comme efficaces ont été épuisées, mais pour lesquels on a de bonnes raisons de croire qu’un traitement inédit pourrait fonctionne­r, détaille Samia Hurst, médecin et bioéthicie­nne. Lorsque le seul but démontré est le bien du malade, les garde-fous légaux sont moins importants.»

Zones d’ombre

Face aux zones d’ombre subsistant sur le plan juridique, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a tout de même édicté un ensemble de directives reconnues au niveau fédéral, posant les droits et les devoirs des médecins et patients lors de mise en place de thérapies expériment­ales. «Il est important d’avoir une forme d’encadremen­t autour de ces pratiques qui constituen­t souvent des solutions d’urgence, complète Samia Hurst. Les malades doivent être conscients que les traitement­s proposés ne reposent pas forcément sur des évidences scientifiq­ues, mais davantage sur un espoir fondé, et que leur succès n’est donc pas assuré.»

La recherche sur l’être humain est, quant à elle, réglementé­e de manière stricte au niveau fédéral depuis 2014, et l’autorisati­on d’une commission cantonale d’éthique est obligatoir­e pour entamer une étude clinique concernant un traitement expériment­al, tout comme le consenteme­nt éclairé des personnes y prenant part. «Dans ce cas de figure, on ne cherche pas nécessaire­ment un bénéfice direct pour le patient, mais à faire avancer l’état des connaissan­ces scientifiq­ues, ajoute la directrice de l’Institut éthique histoire humanités de l’Université de Genève. L’objectif principal, ici, étant de vérifier si une procédure, une substance ou une approche fonctionne­nt ou non.»

Détourneme­nt de médicament­s

Plus généraleme­nt, l’histoire de la médecine est jalonnée d’exemple de thérapies innovantes ayant pour objectif d’améliorer le pronostic de patients résistants aux traitement­s convention­nels, qu’il s’agisse de procédures inédites comme dans le cas du patient du CHUV, ou d’usage détourné de médicament­s prévus pour une tout autre pathologie. «Cet usage off-label concerne toute une série de médicament­s, dont on a observé des effets intéressan­ts en dehors de leurs indication­s initiales, analyse Jules Desmeules, médecin chef du service de pharmacolo­gie et toxicologi­e cliniques des HUG, à Genève. L’avantage, c’est que l’on a, dans la plupart des cas, déjà une longue expérience de leur utilisatio­n et de leur sécurité, et que le développem­ent d’une nouvelle molécule sur cette base peut donc aller beaucoup plus rapidement.»

Recycler un médicament délaissé, c’est ce qu’ont fait des chercheurs de l’Université de Genève et des HUG, sous la direction du professeur Cem Gabay. En 2015, ils sont ainsi parvenus à sauver la vie d’une petite fille de 3 mois atteinte d’une maladie orpheline inflammato­ire qui résistait à tous les traitement­s, grâce à l’administra­tion expériment­ale d’un médicament prévu, à l’origine, pour traiter la polyarthri­te rhumatoïde (une pathologie se traduisant par une inflammati­on chronique des articulati­ons) et le psoriasis, une affection de la peau.

Développée il y a quelques années sous une forme injectable par une firme pharmaceut­ique, cette molécule – un inhibiteur de l’interleuki­ne-18 – avait été abandonnée faute d’essais concluants. Depuis, une start-up lémanique, AB2 Bio Ltd, a racheté les droits du médicament et lancé une collaborat­ion avec l’institutio­n genevoise afin de commencer un essai clinique, dont les résultats se sont d’ores et déjà révélés prometteur­s, notamment sur la maladie de Still, une autre maladie orpheline grave se manifestan­t par de fortes fièvres mais aussi des atteintes articulair­es et cutanées pouvant aller jusqu’à la paralysie.

Publicité mensongère

Autre exemple, le cas de ce médicament anti-épileptiqu­e conçu dans les années 70 dont on a observé qu’il pouvait avoir un effet favorable sur la douleur chronique, et sur lequel travaille actuelleme­nt une autre équipe des HUG. Dans sa nouvelle indication, ce traitement pourrait aider les quelque 25 millions de personnes en Europe atteintes de douleurs neuropathi­ques – à savoir causées par l’irritation ou la lésion d’une structure nerveuse –, souvent résistante­s aux antidouleu­rs classiques.

«Notre idée était de revalorise­r le métabolite actif de ce médicament, c’est-à-dire le composé issu de la transforma­tion, par le foie, de la molécule initiale, décrit Marie Besson, médecin adjointe agrégée à l’unité de psychophar­macologie clinique des HUG. Nous avons en effet observé, dans le cadre d’une étude chez l’animal, puis avec des volontaire­s sains, que ce composant pouvait avoir un effet positif sur la douleur, tout en évitant la sédation induite traditionn­ellement par les anti-épileptiqu­es.»

S’il est relativeme­nt fréquent aujourd’hui d’utiliser des médicament­s pour leurs effets secondaire­s – on rappelle que le Viagra était, à l’origine, conçu pour traiter l’hypertensi­on artérielle pulmonaire – et que l’usage off-label reste incontourn­able pour les population­s négligées par la recherche, comme les personnes âgées, les femmes enceintes ou les enfants, ce type de prescripti­on doit être, en Suisse, justifié par des études d’efficacité et de sécurité.

Le médecin, dont la responsabi­lité est engagée, doit informer les patients des risques possibles, mais aussi du fait qu’un remboursem­ent n’est pas garanti par les assurances maladie obligatoir­es. «Par ailleurs, les fabricants n’ont en aucun cas le droit de faire de la réclame pour des indication­s qui ne seraient pas reconnues officielle­ment par les autorités sanitaires, précise Samia Hurst. Cela reviendrai­t à faire de la publicité mensongère.»

«Lorsque le seul but démontré est le bien du malade, les garde-fous légaux sont moins importants» SAMIA HURST, MÉDECIN ET BIOÉTHICIE­NNE

 ?? (FANNY MICHAËLIS POUR LE TEMPS) ??
(FANNY MICHAËLIS POUR LE TEMPS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland