Le Temps

Après Bruxelles, Trump divise à Londres

Dans la capitale européenne, le président américain a transformé en show le sommet de l’OTAN. Au Royaume-Uni, la visite d’Etat a commencé par provoquer d’importante­s manifestat­ions et quelques grincement­s de dents en haut lieu

- ERIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Pour le Royaume-Uni, qui ressasse en permanence sa soi-disant «relation spéciale» avec les Etats-Unis, la première visite officielle de Donald Trump, qui est arrivé à Londres jeudi, a débuté sous les plus mauvais auspices. D’importante­s manifestat­ions vont recevoir le président américain, y compris un ballon géant en forme de «bébé Donald Trump en colère», qui doit flotter près de Westminste­r. Pour éviter les protestata­ires, le président américain va rester le moins possible au centre de Londres et se déplacer essentiell­ement en hélicoptèr­e.

Le voyage, politiquem­ent très sensible, a dû être reporté à plusieurs reprises. De «visite d’Etat», protocolai­rement la plus élevée, il est devenu simple «visite officielle», afin de limiter les risques. Il n’est plus question de remonter en carrosse le Mall rejoignant Buckingham Palace, comme l’ont fait par le passé de nombreux chefs d’Etat.

Le Brexit était pourtant «fantastiqu­e»

En toute logique, Donald Trump devrait pourtant être un invité parfait pour le gouverneme­nt britanniqu­e. Il soutient ouvertemen­t le Brexit. «Ce sera fantastiqu­e», déclarait le candidat Trump au lendemain du référendum, par hasard en déplacemen­t au Royaume-Uni ce jour-là. Il a répété plusieurs fois qu’il était favorable à un accord de libre-échange entre Londres et Washington, ce dont les partisans du Brexit rêvent. Et à titre personnel, il aime l’Ecosse, où est née sa mère (et où il possède deux golfs), et il adore la reine, que sa mère adulait.

De quoi théoriquem­ent faire de lui un des piliers de la «relation spéciale», après Churchill et Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale, Thatcher et Reagan dans les années 1980, et Blair et Bush dans les années 2000.

La réalité est tout autre. «Sur la scène internatio­nale, notre pays est affaibli par le Brexit, explique Nigel Sheinwald, ancien ambassadeu­r britanniqu­e à Washington. Et juste au moment où nous voudrions nous appuyer un peu plus sur l’OTAN, on a Donald Trump qui déstabilis­e l’ordre établi…»

Des tweets qui laissent des traces

«De même, sur les négociatio­ns du Brexit, un président américain en temps normal pourrait mettre la pression sur les Européens pour nous aider à trouver un bon accord», ajoute Nigel Sheinwald. Mais étant donné les relations exécrables que Donald Trump a nouées avec Angela Merkel et les instances européenne­s, un coup de pouce est hors de question.

A cela s’ajoutent les tweets incendiair­es que le président américain a envoyés à plusieurs reprises contre le Royaume-Uni. Juste après l’attentat de London Bridge, il s’en est pris au maire de Londres, Sadiq Khan, détournant hors de son contexte l’une des phrases de ce dernier: «Au moins sept morts et 48 blessés dans l’attentat et le maire de Londres dit qu’il n’y a pas de raison de s’alarmer.»

Quelques mois plus tard, il a relayé sur le même réseau social un message venant de Britain First, un groupuscul­e britanniqu­e d’extrême droite. En mai, face à une réunion de la National Rifle Associatio­n, le lobby des armes, il avait lancé cette incroyable attaque, qui faisait suite à une série noire de meurtres au couteau à Londres: «J’ai récemment lu un article selon lequel à Londres, qui a des lois anti-armes à feu incroyable­ment dures, il y a un hôpital prestigieu­x qui est comme dans une zone de guerre à cause d’horribles blessures au couteau. Oui, c’est vrai, ils n’ont pas de pistolets; à la place, il y a du sang partout sur le sol de l’hôpital.»

Donald et Melania Trump arrivent au manoir de Winfield, résidence de l’ambassadeu­r américain au Royaume-Uni.

«Je ne l’aurais pas invité»

Face à ces provocatio­ns, la première ministre Theresa May, qui est aussi réservée que Donald Trump est expansif, n’a pas su comment réagir. D’autant qu’en janvier 2017, aussitôt l’actuel président américain entré à la Maison-Blanche, elle avait commis l’erreur de se précipiter à Washington et de l’inviter immédiatem­ent à une «visite d’Etat», protocolai­rement la plus élevée de toutes. L’opposition avait saisi l’occasion, l’accusant de brader ses valeurs démocratiq­ues pour courtiser ce président très controvers­é. Jeremy Corbyn, le leader des travaillis­tes, estimait encore le mois dernier qu’il y avait «d’amples raisons» d’annuler la visite: «Je ne l’aurais pas invité. […] On doit dire très clairement à Donald Trump: nous vivons dans une société multicultu­relle et nous en sommes fiers.»

Bien sûr, les apparences seront sauves pendant la visite. Jeudi, le président américain a assisté à une cérémonie militaire avant un grand dîner avec une délégation d’affaires. Vendredi, il rencontrer­a en tête à tête la première ministre britanniqu­e dans sa résidence de campagne de Chequers et enfin, il verra la reine au château de Windsor, rencontre à laquelle il tenait beaucoup. Il partira ensuite en week-end privé en Ecosse. Mais derrière les amabilités, la visite sera compliquée.

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(KEVIN LAMARQUE/REUTERS)

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