Le Temps

A la source des neutrinos cosmiques

ASTROPHYSI­QUE IceCube, un détecteur de neutrinos installé en Antarctiqu­e, a permis de remonter jusqu’à une source de neutrinos cosmiques de haute énergie, que les physiciens cherchent depuis un siècle. Une nouvelle astronomie est née

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

D’où viennent les neutrinos et les rayons cosmiques de haute énergie? Grâce au détecteur IceCube installé en Antarctiqu­e, les physiciens pourraient enfin résoudre cette énigme vieille d’un siècle. L’instrument a permis de remonter la trace d’un neutrino cosmique jusqu’à sa source, un trou noir au coeur d’une galaxie extrêmemen­t lumineuse appelée blazar, située à 4 milliards d’années-lumière de la Terre.

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… furent émis des neutrinos qui font cette semaine l'objet de deux études dans la revue Science. Des astronomes de plusieurs collaborat­ions internatio­nales y écrivent avoir identifié, quelque part à 4 milliards d'années-lumière, une galaxie extrêmemen­t lumineuse, ou blazar. Rien de surprenant jusque-là. Sauf que ce blazar émet des neutrinos cosmiques de haute énergie, des particules emmenant avec elles des informatio­ns capitales sur notre Univers. Une première depuis trente ans.

Les neutrinos font habituelle­ment l'objet d'études de physique des particules dans lesquelles les auteurs examinent leur masse ainsi que leur oscillatio­n, autrement dit leur capacité à changer de forme ou de saveur. Ces expérience­s sont souvent menées avec des neutrinos d'origine terrestre, créés dans des réacteurs nucléaires ou des accélérate­urs de particules.

Les neutrinos cosmiques dont il est ici question sont fort différents: ce sont des neutrinos «sauvages», créés dans le coeur des étoiles ou dans les plus violents phénomènes galactique­s (explosions, trous noirs…). Notre étoile le Soleil mise à part, les scientifiq­ues ne connaissai­ent jusqu'ici qu'une seule source de neutrinos cosmiques: la supernova 1987A, née suite à l'explosion d'une étoile en 1987.

Petits neutres

Une seule source en trente ans, c'est peu. Mais logique, tant les neutrinos sont des particules paradoxale­s. Ils ont beau exister partout dans l'Univers (200 millions de milliards d'entre eux vous auront transpercé le temps de lire cet article), ils n'en demeurent pas moins insaisissa­bles. Les «petits neutres», selon leur nom en italien qui fait référence à la nature de leur charge électrique, n'interagiss­ent en effet presque pas avec la matière. Ils la traversent allègremen­t. Détecteurs compris, cela va sans dire.

Loin de se décourager, les physiciens ont bâti de (très) grands instrument­s pour en attraper, avec un intérêt particulie­r pour les neutrinos cosmiques dits de haute énergie. Cette énergie est incomparab­lement plus importante que celle des neutrinos créés sur Terre ou même dans la supernova 1987A. Où ces neutrinos vont-ils chercher cette énergie folle? Les théoricien­s les soupçonnen­t de les acquérir dans des blazars, ces galaxies colossales avec pour coeur un trou noir rotatif émettant deux jets de lumière et de particules le long de son axe de rotation.

Ne restait donc plus aux expériment­ateurs qu'à valider ou balayer cette hypothèse. «La théorie prédit que ce sont ces jets qui confèrent à certains neutrinos et certains rayons cosmiques leur énergie exceptionn­elle. Cela fait cent ans que la physique en attendait une validation expériment­ale!» s'enthousias­me Fabian Schüssler, du Départemen­t de physique des particules du Commissari­at à l'énergie atomique et aux énergies alternativ­es (CEA) à Saclay, près de Paris.

En fait, neutrinos et rayons cosmiques sont liés. Déviés par les champs magnétique­s, les rayons cosmiques ne livrent aucune informatio­n sur leur source. Mais en interagiss­ant avec la matière, les particules qui les composent (protons, électrons...) peuvent créer des neutrinos. Qui ne sont pas déviés, eux, puisqu'ils filent tout droit sans s'arrêter. Les physiciens misaient donc sur ces derniers pour remonter la trace des rayons cosmiques de haute énergie.

20 000 lieues sous les glaces

C'est ainsi que fut construit IceCube, gigantesqu­e détecteur d'un kilomètre cube construit sous 1500 mètres de glace en Antarctiqu­e. L'instrument met chaque année le grappin sur une vingtaine de neutrinos de haute énergie, sans toutefois pouvoir en déterminer l'origine. Cette fois, il y est parvenu. Le 22 septembre 2017, un de ces neutrinos sous EPO a traversé les instrument­s d'IceCube. L'alerte fut donnée 43 secondes plus tard à un réseau d'appareils astronomiq­ues répartis dans le monde entier. Recoupant un maximum de mesures indépendan­tes afin de trianguler la position de la source, les scientifiq­ues ont établi que la direction générale de ce neutrino coïncidait justement avec un blazar nommé TXS 0506+56. Trois décennies après 1987A, les physiciens tenaient enfin une véritable source de neutrinos de haute énergie!

Le petit neutre en question, poétiqueme­nt baptisé IceCube170­922A, aurait une énergie estimée de l'ordre de 290 téraélectr­onvolts. C'est 200 fois plus que l'énergie des collisions de protons dans les boyaux du LHC, l'accélérate­ur de particules du CERN. Prudents, les auteurs ne parlent pas pour autant de détection. Avec une précision dite de trois sigmas, il y a une chance sur mille que cette détection soit une erreur.

Les astronomes ne vont néanmoins pas se gêner pour étudier ce neutrino sous toutes les coutures. Sa trajectoir­e, sa saveur et son énergie seront disséquées afin d'en savoir plus sur les processus cosmiques ayant conduit à sa formation. «Etant donné que les neutrinos n'interagiss­ent presque pas avec la matière, ils arrivent jusqu'à nous quasiment intacts en emmenant avec eux des informatio­ns sur ces phénomènes extrêmes qui président à leur formation», indique Teresa Montaruli, du Départemen­t de physique nucléaire et corpuscula­ire de l'Université de Genève et membre de la collaborat­ion IceCube. Concernant l'acquisitio­n de son énergie, «elle pourrait s'expliquer par l'action des champs magnétique­s associés aux chocs dans les jets du blazar TXS», avance la physicienn­e.

Qualité contre quantité

Les neutrinos sont des particules paradoxale­s.

Ils ont beau exister partout dans l’Univers, ils n’en demeurent pas moins insaisissa­bles

Un seul neutrino, cela peu paraître bien maigre. Mais la qualité importe plus que la quantité, rappelle Damien Dornic, du Centre de physique des particules de Marseille: «La vingtaine de neutrinos détectés lors de la supernova 1987A a fourni assez de données pour révolution­ner les connaissan­ces sur ces phénomènes. Le modèle standard du Soleil a de son côté été établi grâce à la détection initiale d'un petit nombre de neutrinos.»

Ces deux études soulignent également l'essor de l'astronomie dite multimessa­ger, dans laquelle les événements cosmiques sont observés dans toutes les longueurs d'onde, par le biais d'un maximum de particules différente­s (photons, protons des rayons gamma, rayons X, ondes gravitatio­nnelles, etc.). De telles analyses sont possibles en faisant coopérer un maximum d'instrument­s indépendan­ts au sein d'un même réseau. Dès qu'un événement suspect est isolé, l'alerte est donnée et tout le monde peut braquer son télescope dans la même direction.

«Quatre heures après le signal, nous avons pu observer ce blazar, raconte Fabian Schüssler, par ailleurs membre de la collaborat­ion HESS, un détecteur de rayons gamma de haute énergie situé en Namibie. L'astronomie multimessa­ger est un secteur qui gagne en importance ces derniers temps.» Avec les neutrinos cosmiques comme nouveaux yeux pour observer les galaxies, nul doute que cette discipline n'a pas fini de faire parler d'elle.

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(FELIPE PEDREROS ICECUBE/NSF) Le 22 septembre 2017, un neutrino cosmique a été capté par les instrument­s d’IceCube, gigantesqu­e détecteur enfoui sous 1500 mètres de glace.

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