Une autoroute menace de ronger le reblochon
Un projet de voie rapide dans le Chablais savoyard fâche les producteurs du célèbre fromage. Des associations de protection de l’environnement s’opposent aussi à ce tronçon qui vise à faciliter l’accès des frontaliers à Genève
Le projet d’une voie rapide dans le Chablais savoyard effraie les producteurs du célèbre fromage AOP. Les fabricants du reblochon estiment que leur surface agricole serait réduite au total de 38,50 hectares et morcelée de façon significative. Ils rejoignent des associations environnementales dans l’opposition à la construction d’une autoroute prévue pour désenclaver cette région où le trafic est saturé.
Le Syndicat interprofessionnel du reblochon vient de déclarer son opposition au projet d'autoroute Machilly-Thonon, mis à l'enquête publique par la préfecture de Haute-Savoie depuis le 6 juin, et ce jusqu'au 13 juillet. Le tronçon, d'une longueur de 16,5 kilomètres, doit contribuer d'ici à 2023 à désenclaver le Chablais, dont le réseau routier demeure archaïque tandis que le trafic sature, avec notamment un nombre croissant de travailleurs frontaliers tentant de rallier chaque matin Annemasse puis Genève (environ 25000 usagers quotidiens).
Pour ce syndicat, la desserte impacterait une quinzaine de producteurs de la région engagés dans la fabrication du reblochon AOP. Leur surface agricole serait réduite au total de 38,50 hectares et morcelée de façon importante. Cinq éleveurs perdraient entre 5% et 6% de leurs terres. Un échangeur autoroutier prévu à Perrignier réduirait de 15% une exploitation. Le syndicat rappelle qu'un hectare est la surface nécessaire pour nourrir une vache pendant une année et elle permet de produire l'équivalent de 1500 reblochons. Pour les fermes concernées, 100% des fourrages doivent être issus de la zone Reblochon, aucune compensation extérieure ne pouvant être acceptée.
«Notre activité n'est pas délocalisable, témoigne Bertrand Boccagny, lui-même producteur. Chaque hectare perdu met en péril à plus ou moins longue échéance les exploitations qui ne pourront plus être conformes au cahier des charges, ce qui va conduire à un affaiblissement de l'appellation contrôlée.» Plusieurs coopératives laitières ont aussi écrit à la commission d'enquête sur l'utilité publique de cette autoroute pour signifier leur opposition. La filière du reblochon a été récemment mise à mal par une bactérie qui a rendu malades une douzaine d'enfants (dont un est décédé, sans pour autant que la cause ne soit formellement attribuée au fromage). «Dans ce contexte, une perte de foncier tomberait plutôt mal», prévient Bertrand Boccagny.
Un projet vieux de vingt ans
Le syndicat suggère que les autorités préfectorales attendent la mise sur les rails du RER transfrontalier Léman Express (ex-CEVA), prévue fin 2019, «pour voir s'il y a vraiment besoin d'une autoroute». Dans le Chablais savoyard, 79% des déplacements domicile-travail se font en voiture, par la faute d'un réseau ferroviaire archaïque et inadapté aux exigences des pendulaires. Conséquence: 3% des habitants sont abonnés à un moyen de transport collectif (contre par exemple 30% de ceux qui résident entre Lausanne et Genève). Le Léman Express, dont les horaires seront cadencés, devrait les inciter à laisser leur véhicule au garage.
«Notre activité n’est pas délocalisable», témoigne Bertrand Boccagny, producteur de reblochon.
Le tronçon autoroutier Machilly-Thonon est un projet vieux de vingt ans sans cesse reporté, essentiellement à la suite de recours posés par des associations de protection de l'environnement. En janvier dernier, c'est l'Autorité environnementale (AE, une entité juridique indépendante) qui a demandé à l'Etat et au département de Haute-Savoie de «sérieusement revoir leur copie». L'AE a pointé «des projections de trafic trop peu réalistes, une absence d'étude d'impact sur les émissions de gaz à effet de serre, des études de bruit et de qualité de l'air incomplètes». Par ailleurs, le Réseau Air 74 rappelle la demande de 40 associations haut-savoyardes pour le moratoire sur les projets d'extension des capacités routières dans le département.
«La dépendance à la route doit impérativement être réduite, afin de protéger la santé publique face au tueur invisible qu'est la pollution de l'air qui représente 9% de la mortalité en France, soit 14 fois plus que les accidents de la route», souligne Anne Lassman-Trappier, présidente de l'association Inspire, implantée dans la vallée de Chamonix, zone touchée par de très fortes concentrations de particules fines. Les services de la préfecture ont assuré que des corrections avaient été apportées après qu'ils ont pris connaissance du compte rendu sévère de l'AE. Pierre Lambert, le préfet, a indiqué en février dernier à la presse régionale que «le Chablais avait le droit d'être rapproché du reste du département».
Le tronçon Machilly-Thonon achèverait de fait le désenclavement du Chablais. En 2008, le contournement de l'agglomération de Thonon par une rocade a constitué un premier chaînon. Une route à deux fois deux voies a ensuite été inaugurée en septembre 2014 reliant Annemasse à Machilly. Il reste à contourner Annemasse depuis le carrefour des Chasseurs jusqu'à l'autoroute A40. Plus à l'est, près de Saint-Gingolph, un projet d'itinéraire alternatif visant à éviter le centre de la localité est à l'étude entre le canton du Valais et le département de la Haute-Savoie. Estimé à 200 millions, le dernier maillon sera à la charge du futur concessionnaire privé.
Le montant du péage devrait être compris entre 1,60 et 2,40 euros et la vitesse sera limitée à 110 kilomètres à l'heure.
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La desserte impacterait une quinzaine de producteurs engagés dans la fabrication du reblochon AOP