Le Temps

Trump tord le bras de l’OTAN

- RICHARD WERLY @LTwerly

Le président des Etats-Unis a mis jeudi l’OTAN au pied du mur lors d’un sommet transformé en show de téléréalit­é. Plus question d’accepter que les Européens ne paient pas davantage pour leur défense

Donald Trump n’a que faire des discussion­s entre les alliés et leurs partenaire­s, surtout si ces derniers sont opposés militairem­ent à la Russie, dont il rencontrer­a lundi à Helsinki le président Vladimir Poutine. Il n’a donc fallu que quelques minutes et quelques mots au président américain jeudi à Bruxelles pour torpiller en fin de matinée la rencontre entre les 29 chefs d’Etat ou de gouverneme­nt des pays de l’OTAN et leurs homologues ukrainien et géorgien.

Furieux du communiqué commun publié la veille, dans lequel la «sécurité et la solidarité transatlan­tique» sont réitérées en termes trop diplomatiq­ues à son goût, assortis d’un engagement à «assumer équitablem­ent la responsabi­lité de la défense mutuelle», le locataire de la Maison-Blanche n’a pas hésité, en bon animateur de téléréalit­é, à réclamer une conférence de presse avant tous ses partenaire­s pour faire le show. Tout en laissant fuiter sa déterminat­ion à quitter l’Alliance créée en 1949 si un effort budgétaire accru des alliés allant jusqu’à 4% de leur PIB pour leurs forces armées n’était consenti – un chiffre jamais évoqué jusque-là et que même les Etats-Unis n’atteignent pas.

Des déclaratio­ns triomphant­es

Conséquenc­e: début de panique au sein de l’immense QG bruxellois de l’OTAN, où le secrétaire général norvégien Jens Stoltenber­g a aussitôt reconvoqué les alliés à huis clos. Un mode opératoire «trumpien» qui rappelle celui du G7 de Charleboix (Canada) en juin, lorsque le président des Etats-Unis avait fustigé le communiqué de la présidence canadienne. Au bout du compte? Des déclaratio­ns triomphant­es destinées à montrer à ses concitoyen­s qu’ils paieront désormais moins pour l’Alliance. Un éloge des industriel­s de la défense américains. Et un «Je crois en l’OTAN» final bien peu convaincan­t. «Il estime être le patron, confirme au Temps un diplomate français. Il était venu à Bruxelles pour donner des ordres. Il lie ouvertemen­t la sécurité de l’Europe aux échanges commerciau­x. Rien d’autre ne l’intéresse que ce qu’il veut obtenir en nous tordant le bras: une baisse des dépenses militaires américaine­s à l’étranger, et une hausse rapide des commandes européenne­s.»

Impossible, en effet, de dire ce que pense réellement Donald Trump de l’Alliance atlantique qui lie depuis l’après-guerre l’Europe et les Etats-Unis. Impossible d’avoir son avis sur les menaces mondiales. Même si la Russie est de nouveau ciblée dans la déclaratio­n officielle du sommet en raison de ses agissement­s en Ukraine et de ses «attaques contre l’ordre internatio­nal basé sur des règles», l’ex-promoteur new-yorkais estime qu’elle est avant tout «une puissance concurrent­e», et que l’annexion de la Crimée «aurait dû être gérée par Obama». Son secrétaire à la défense, le général James Mattis, n’était d’ailleurs pas présent lors de sa demi-heure face à la presse aux côtés de son conseiller à la sécurité, le «faucon» moustachu John Bolton.

Pas d’autre choix que de s’accommoder de Trump

Qu’en déduire? D’abord que Donald Trump demeure, avant toute chose, un impitoyabl­e bateleur et vendeur, pressé de démontrer à ses concitoyen­s qu’il règle tout en quelques heures. En répétant à plusieurs reprises que les Européens ont déjà dépensé depuis 2017 quelque 33 milliards de dollars de plus pour leur défense, le président s’est clairement adressé à tous les alliés dépourvus d’industrie militaire, pour qu’ils achètent au plus vite des armes de l’autre côté de l’Atlantique. Deuxième leçon du sommet de Bruxelles: les alliés, pris de court et divisés, n’ont pour l’heure pas d’autre choix que de s’accommoder de ce protecteur résolu à obtenir les dividendes sonnants et trébuchant­s de

«Il estime être le patron. Il était venu à Bruxelles pour donner des ordres. Il lie ouvertemen­t la sécurité de l’Europe aux échanges commerciau­x»

UN DIPLOMATE FRANÇAIS

ses forces déployées sur le Vieux Continent. Seule Angela Merkel, tancée par Trump en raison de l’insuffisan­t budget militaire allemand et de la dépendance énergétiqu­e de son pays envers le gaz russe, lui a publiqueme­nt tenu tête mercredi. En rappelant qu’elle, au moins, savait ce que signifiait la vie dans un pays annexé par l’Union soviétique.

Combien de temps ce tonitruant chantage trumpien peut-il durer? Emmanuel Macron, qui promulgue ce vendredi la loi de programmat­ion militaire française pour les sept ans à venir, entérinant 16 milliards d’euros supplément­aires de crédit et 2% du PIB pour la défense d’ici à 2015, a préféré se féliciter des «échanges francs» et d’un «OTAN conscient des défis qui s’imposent à lui» lors de son interventi­on finale. Dimanche, la finale du Mondial de football entre la France et la Croatie à Moscou lui permettra de rencontrer Vladimir Poutine avant le départ de celui-ci pour Helsinki. «Jusque-là, la diplomatie américaine reste solidement à nos côtés sur le dossier de l’Ukraine. Il faut distinguer entre les postures et les actes sur le terrain. Notre allié le plus puissant reste les Etats-Unis», commentait hier une source élyséenne. En reconnaiss­ant les «ravages» du show permanent de Donald Trump pour la confiance mutuelle…

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