Le Temps

La justice allemande ouvre l’accès d’un compte Facebook à des héritiers

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

La Cour fédérale de justice vient d’obliger en dernière instance Facebook à transmettr­e un de ses comptes à des héritiers. Des parents avaient porté plainte contre le géant américain afin d’accéder à la page de leur fille décédée

Pour la première fois dans l’histoire de la justice allemande, la décision était retransmis­e en direct à la télévision, une nouveauté à la hauteur de l’intérêt suscité par l’affaire. La Cour fédérale de justice de Karlsruhe a obligé jeudi Facebook à autoriser l’accès d’un compte du réseau social à des héritiers. Cette décision s’inscrit dans un vide juridique concernant l’héritage des données et des comptes sur internet.

L’affaire remonte à 2012. Une jeune fille de 15 ans décède dans des circonstan­ces toujours non éclaircies après avoir été écrasée par une rame de métro à Berlin. Les parents, qui avaient autorisé leur fille à ouvrir un compte Facebook à l’âge de 14 ans, sont convaincus qu’en consultant ses conversati­ons avec ses «amis», ils pourraient savoir si elle a ou non voulu se suicider. Ils possèdent son code d’accès. Mais lorsqu’ils tentent de se connecter quelques jours après le décès, ils découvrent que le compte a été mis en mode «commémorat­ion», un mode qui permet aux «amis» de se rendre sur la page d’un défunt, gelée et assortie de la mention «en mémoire de…» mais qui n’autorise plus l’accès aux contenus.

Respect de la vie privée contre héritage

Facebook refuse depuis lors l’accès du compte à la famille, invoquant notamment le respect de la vie privée des autres utilisateu­rs ayant été en contact avec la jeune fille. Les parents argumenten­t que le compte Facebook de leur fille doit être traité comme une correspond­ance papier ou un journal intime, qui font partie de l’héritage et sont transmis aux héritiers au même titre que ses biens. «Au final, il n’y a pas de différence entre un support papier et le réseau», estime l’avocat de la famille, Peter Rädler.

Depuis le tragique accident dans le métro, la justice allemande se livre via les tribunaux à une véritable joute en terrain inconnu. Un premier jugement, rendu en 2015, donne raison à la famille. La décision est cassée en appel à la demande de Facebook en 2017. La Cour fédérale de justice vient donc de trancher en dernière instance, au bénéfice de la famille, avançant que les parents, puisqu’ils connaissai­ent le mot de passe de leur fille, auraient pu avoir accès à son compte de son vivant.

«Le fait que d’autres usagers puissent avoir la certitude que ce qu’ils écrivent reste privé n’est donc pas nécessaire­ment à protéger», a tranché le juge. La Cour a par ailleurs estimé que la famille de la jeune fille héritait du contrat signé avec Facebook, comme de n’importe quel autre contrat en cas de décès.

Vide juridique

Le cas de Berlin souligne le vide juridique autour de la notion d’héritage des comptes sur les réseaux sociaux. «Qui a accès à la communicat­ion virtuelle après un décès est terre inconnue en matière de droit», rappelait l’associatio­n Bitkom à la veille du verdict.

Depuis quelques années, les usagers majeurs de Facebook ont la possibilit­é de désigner de leur vivant un gestionnai­re de leur page une fois celle-ci en mode «commémorat­ion». Le gestionnai­re pourra par exemple modifier la photo de la personne décédée, ou publier sur sa page des informatio­ns relatives à son enterremen­t. Les usagers ont aussi la possibilit­é de demander de leur vivant à Facebook de fermer leur compte à leur mort. Les proches du défunt peuvent eux aussi demander la fermeture du compte.

Après cette nouvelle défaite face à la justice, Facebook a fait part de sa «compassion pour la famille», tout en rappelant la «nécessité de garantir le respect de la vie privée des utilisateu­rs». «Nous avons défendu une autre position, et cette longue procédure montre à quel point le sujet est complexe», a commenté l’entreprise jeudi dans un communiqué.

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