Le Temps

L’ONU et le secteur privé réalisent l’urgence d’agir

Le secrétaire général des Nations unies a annoncé jeudi la création d’un groupe de haut niveau visant à mieux coordonner le travail d’encadremen­t des technologi­es numériques

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le dialogue sur les technologi­es numériques est anarchique. Au vu des enjeux qu’il comporte pour la société d’aujourd’hui et de demain, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, juge qu’il est temps de faire de l’ordre. Jeudi, il a annoncé la création d’un groupe de haut niveau sur la coopératio­n numérique présidé par Melinda Gates, cofondatri­ce de la Bill & Melinda Gates Foundation, et Jack Ma, président du groupe Alibaba. Le patron de l’ONU le constate: «Les technologi­es numériques ouvrent la voie à des changement­s d’une ampleur, d’une portée et d’une rapidité sans précédent, mais la coopératio­n internatio­nale en cours et les moyens mis à dispositio­n ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.»

Aucune vision commune

Le groupe, dont le secrétaria­t sera aussi bien à New York qu’à Genève, va se réunir en septembre dans la Grande Pomme et en janvier en Suisse. Il comprend une riche palette de ministres de différents pays, dont la conseillèr­e fédérale Doris Leuthard, mais aussi des universita­ires, le secteur privé, des ONG, des hauts fonctionna­ires. Vice-directeur de l’Office fédéral de la communicat­ion, Thomas Schneider explique: «Le groupe de haut niveau a un objectif clair: débloquer un débat qui n’avance plus depuis le Sommet mondial de l’informatio­n de Tunis en 2005 entre les différente­s organisati­ons et acteurs impliqués dans les discussion­s autour du cyberespac­e. Personne n’a pour l’heure une vision commune pour mieux coopérer.»

Codirecteu­r exécutif du groupe avec Jovan Kurbalija, responsabl­e de la Geneva Internet Platform, l’ambassadeu­r indien Amandeep Gill renchérit: «Il y a urgence, car la rapidité et l’étendue des développem­ents technologi­ques dans ce domaine dépassent la capacité des gouverneme­nts et des organisati­ons internatio­nales à traiter de toutes ces questions d’une grande complexité.» Mais l’ambassadeu­r indien le souligne: «Le sentiment d’urgence vient aussi des sociétés technologi­ques. Elles sont consciente­s que la relation qu’elles ont avec leurs clients a été endommagée par différents scandales, notamment celui de Facebook avec Cambridge Analytica. Ces sociétés veulent désormais aller de l’avant en s’assurant que leurs clients et que les Etats ont confiance dans leur capacité à gérer ces puissantes technologi­es.» Le monde reste très divisé. Le secteur privé a ses priorités, certains Etats comme la Chine ou la Russie seraient favorables à un traité, d’autres s’y opposent.

Si le Brésil, le Mexique, l’Inde ou encore le Danemark ont manifesté un vif intérêt pour la création du groupe, c’est qu’ils y voient un vrai besoin. Plusieurs processus électoraux en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis ont été la proie d’interféren­ces cybernétiq­ues. Ces démocratie­s souhaitent pouvoir s’en prémunir. La Suisse a joué un rôle majeur dans la création de ce panel. Elle en est le principal bailleur de fonds. Son intérêt est manifeste: la Confédérat­ion se positionne de plus en plus dans le débat sur la gouvernanc­e de l’internet au même titre que le canton de Genève. Les propos de Brad Smith, patron de Microsoft, tenus l’an dernier sur une possible convention de Genève numérique, ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.

Conclusion­s en avril 2019

La Genève internatio­nale dispose d’un écosystème qui s’y prête particuliè­rement. Avec le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations en son sein, Genève est bien placée pour traiter des problèmes découlant du big data et de la protection des migrants et réfugiés. L’Organisati­on mondiale du commerce et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développem­ent sont bien outillées pour développer un cadre commun en matière de commerce électroniq­ue. L’Union internatio­nale des télécommun­ications est naturellem­ent très concernée par la gouvernanc­e d’internet. La Commission économique des Nations unies pour l’Europe, installée au Palais des Nations, fait office de pionnière, prenant à bras-lecorps la régulation relative aux voitures autonomes. «C’est à Genève que la technologi­e rencontre l’humanité», précise Jovan Kurbalija, codirecteu­r exécutif du groupe de haut niveau dont le mandat s’étend sur neuf mois et qui livrera ses recommanda­tions en avril 2019.

Quant à Melinda Gates, elle en est convaincue: «La technologi­e n’est ni bonne ni mauvaise. Ce n’est qu’un outil qui demeure très puissant» et qui devrait être accessible à tous, y compris aux plus pauvres et aux plus vulnérable­s. «L’objectif du groupe de haut niveau est, conclut-elle, de faciliter cette autonomisa­tion à l’échelle mondiale.»

Genève est bien placée pour traiter des problèmes découlant du big data et de la protection des migrants et réfugiés

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