Le Temps

Grail veut détecter les cancers par une prise de sang

- JÉRÔME MARIN, SAN FRANCISCO @JeromeMari­nSF

La start-up californie­nne a levé plus de 1,5 milliard de dollars pour s’attaquer à un marché prometteur

Détecter les cancers grâce à une simple prise de sang avant même la manifestat­ion des premiers symptômes. La promesse de la start-up américaine Grail semble trop belle pour être vraie. Mais elle a séduit de nombreux investisse­urs, qui ont apporté plus de 1,5 milliard de dollars. Parmi eux: Bill Gates et Jeff Bezos, les fondateurs respectifs de Microsoft et d’Amazon; les grands laboratoir­es pharmaceut­iques Johnson & Johnson, Merck et Bristol-Myers Squibb; ou encore Tencent, le géant chinois d’internet.

Pour atteindre son objectif, Grail mise sur les récentes avancées du machine learning, une méthode d’apprentiss­age pour les algorithme­s informatiq­ues. La société, créée en janvier 2016 par Illumina, le leader mondial du séquençage d’ADN, s’est ainsi lancée dans un travail d’analyse de prélèvemen­ts sanguins de centaines de milliers de personnes. Cela doit lui permettre d’identifier les fragments d’ADN libérés par des cellules cancéreuse­s et dispersés en petite quantité dans le sang.

Pas encore d’évaluation par les pairs

Deux études cliniques sont déjà en cours. Une fois ce long processus achevé, Grail pourra réaliser des biopsies liquides indiquant la présence d’une tumeur dans l’un des organes du patient bien avant les méthodes actuelles. Et ainsi accroître grandement ses chances de survie. En plus du travail d’identifica­tion, un défi majeur doit être relevé: les «faux positifs». En effet, certains des marqueurs des cancers peuvent être présents chez des personnes saines ou souffrant d’une autre maladie.

Début juin, Grail a publié les résultats d’une première expériment­ation sur 127 personnes atteintes d’un cancer du poumon – maladie qui tue plus de 150000 personnes par an aux Etats-Unis selon les statistiqu­es de l’American Cancer Society. Les trois tests effectués par la société ont été concluants à 51% pour les stades précoces, à 89% pour les stades avancés. Cette étude n’a cependant pas été accompagné­e d’une évaluation par les pairs. Une carence que Grail promet de résoudre à l’avenir, sans s’engager sur une date.

Une idée qui reste à valider

En janvier, des travaux de la John Hopkins University, publiés dans la revue Science, avaient également démontré le potentiel des biopsies liquides pour détecter des tumeurs. «Mais il n’y a pas encore eu suffisamme­nt de vérificati­ons cliniques pour être certain que ce qui est détecté est médicaleme­nt pertinent», nuance le docteur Lynn Sorbara, du National Cancer Institute, une branche du Départemen­t américain de la santé. Et «l’idée de diagnostiq­uer quelqu’un en utilisant simplement une biopsie liquide n’a pas encore été validée», ajoute cette spécialist­e de la prévention.

Face aux sceptiques, Grail promet de débuter la commercial­isation avant la fin de l’année d’un test permettant de détecter le carcinome du nasopharyn­x. La société laisse miroiter un marché immense: les biopsies liquides pourraient permettre de détecter tous les cancers avec une simple prise de sang, pour un prix bien moins élevé – du moins aux Etats-Unis où les examens médicaux coûtent très cher. «Il existe un risque de surtraitem­ent», prévient le docteur Lynn Sorbara, car certaines petites tumeurs n’évoluent pas et/ou ne présentent aucun danger.

Le discours de Grail – et de ses rivales, Guardant Health, Freenome et Persona Genome – séduit les investisse­urs, qui n’ont pas été refroidis par le fiasco Theranos. Cette start-up de la Silicon Valley promettait de révolution­ner les tests sanguins. Sa valorisati­on avait atteint 9 milliards de dollars. Elle a depuis licencié 97% de ses employés et est poursuivie pour fraude par les autorités américaine­s.

Trois tests effectués par Grail ont été concluants à 51% pour les cancers du poumon de stade précoce et à 89% pour les stades avancés

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