«Climax peut être vu comme un film éducatif» INTERVIEW
«Les jeunes ont encore une expérience récente de ces soirées qui partent en vrille. A 40 ans, il y a plus de réactions choquées, ou dépressives» «Je n’ai jamais travaillé avec des acteurs aussi sobres. Aucun ne buvait ni ne prenait de drogue. Il n’y a pas eu la moindre mauvaise tension sur le tournage»
Le cinéaste Gaspar Noé, adepte des extrêmes et auteur d’«Irréversible», présente au NIFFF son dernier choc, qui raconte la totale dégénérescence de la fête d’une troupe de danseurs. Emois garantis
La polémique est assurée, à nouveau. Le nouveau film de Gaspar Noé (Irréversible, Love) joue une carte extrême en décrivant la soirée d’une troupe de jeunes danseurs à la veille de leur départ vers une consécration rêvée aux Etats-Unis. Au fil des heures, alcool, drogues, musique martelante, tout dégénère. Entamé par son générique de fin, Climax, qui sortira en septembre, pousse loin le suivi de cette chute collective.
Le film, qui commence par un vertigineux plan-séquence de danse – et qui en comporte d’autres, jusqu’à 42 minutes d’un trait –, est montré ces jours au Festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF), lequel avait consacré Enter the Void en 2010.
Je précise que je connais très mal votre filmographie. Dans le contexte de débats permanents à votre sujet, j’ai pris votre film tel quel.
Comme il est.
Là, ça impliquerait une objectivité. Disons comme je l’ai reçu. Et j’ai pensé à ça: il est montré vendredi au NIFFF, en même temps que «Vendredi 13». Or «Climax», c’est comme «Vendredi 13»: des jeunes qui font des conneries, et qui sont tous punis.
Pas tous. Ce ne sont pas forcément les plus agressifs qui sont punis. Il est surtout question d’un dérapage collectif, comme cela se produit pendant les guerres, ou les matchs de foot, parmi d’autres cas… J’ai vu de nombreux dérapages dus à l’alcool, on en a tous vu; c’est de cela qu’il s’agit. La personne la plus à même d’être punie est celle qui a introduit une substance dans l’alcool que boit la troupe.
Néanmoins, vos personnages paient le prix fort de leurs excès…
Fondamentalement, il y a un abus de confiance, dans l’introduction du produit. Au début, ces personnages sont sympas, drôles, beaux. Puis il y a la perte de repères, un côté obscur qui apparaît. Dans ces conditions, il n’y a pas de manière plus exemplaire de se comporter qu’une autre.
Vous êtes soutenu par les «Inrocks», mais avec ce film, on peut voir Gaspar Noé en Philippe de Villiers du cinéma français, c’est le retour de la morale…
Remarquez, les soutiens des Inrocks ou de Libé, c’est une fois sur deux… Je fais d’abord un constat, nous avons tous vu des bagarres de rue parties de rien, sauf l’excès d’alcool. Je le dis autrement. Des gens m’ont parfois demandé si j’avais eu des expériences avec des chamanes. Les chamanes, la plupart du temps, c’est de l’abus, des gens mal intentionnés qui agissent pour l’argent. On peut voir le film avec un filtre éducatif, pour les ados. Parmi les gens qui l’ont vu, ce qui me frappe est que les jeunes réagissent mieux, de manière plus calme voire légère, par rapport aux trentenaires ou plus âgés. Les jeunes ont encore une expérience récente de ces soirées qui partent en vrille. A 40 ans, il y a plus de réactions choquées, ou dépressives.
Vous dites «éducatif»? Plus ou moins. Qu’est-ce qui est éducatif? Enfant, j’adorais les films de Bruce Lee; chercher à l’imiter dans les rues était-il éducatif? Délivrance est-il éducatif? On veut simplement dire que cela se passe, et on cherche à créer un peu d’impact.
Plus pratiquement, vous confirmez donc qu’il y a eu introduction d’un produit dans la sangria?
Dans un plan final, un personnage fait quelque chose qui le signale, et qui renvoie aux interviews en vidéo du début.
Vous êtes fort pour appâter le public…
Je ne veux surtout pas spoiler pour les spectateurs de vendredi. Si vous avez la chance ou la malchance de revoir le film, vous pourrez y penser.
Vous maltraitez vos personnages de manière inouïe; pas un pour sauver l’autre.
Ce sont eux-mêmes qui se maltraitent. La première partie est belle, la deuxième fait remonter un aspect psychiatrique. Pour suivre cette évolution, nous avons tourné de manière presque chronologique. C’était aussi une manière de prévenir d’éventuels problèmes, pour se réadapter en cours de route. Si un acteur se cassait une jambe, ou si l’un d’eux, caractériel, quittait le tournage, nous pouvions le sortir de l’histoire en le justifiant. Notez que je n’ai jamais travaillé avec des acteurs aussi sobres. Aucun ne buvait ni ne prenait de drogue… Il n’y a pas eu la moindre mauvaise tension sur le tournage.
Vous jouez beaucoup du contraste entre des plans très courts et des plans-séquences – on imagine qu’ils ont nécessité de longues préparations…
Pas autant. J’ai bénéficié des apports de génies de la chorégraphie. Pour le premier plan, nous avons fait 16 prises, la 15e était la bonne. Je ne suis pas très amateur de danse contemporaine, qui m’ennuie, je la trouve trop cérébrale. Je suis fasciné par d’autres formes, celles que l’on voit dans le film. Et je travaille souvent en longs plans, même si je coupe ensuite. Avec des acteurs peu professionnels, tourner en condition de plan-séquence permet de laisser jouer.