Le Temps

Dans les années 1980, le fric, les flics et de grands classiques

«Dallas» captive de nombreux pays avec ses déchiremen­ts familiaux. D’autres veulent refonder la série policière, en augmentant sa violence dans «Miami Vice» ou en humanisant ses héros avec «Hill Street Blues»

- t NICOLAS DUFOUR @NicoDufour Demain: années 1990, des ovnis postmodern­es

Des bretelles d’autoroute. Un centre-ville de gratte-ciel au milieu du désert. Des moissonneu­ses dans des champs à perte de vue. Puis, sur ces images divisées par trois afin de remplir le petit écran: «Dallas, a Lorimar production».

Dallas démarre en 1978, mais, étendue jusqu’à 1991, elle marquera les années 1980. Elle est d’ailleurs découverte ici dès 1981, sur TF1. Ce feuilleton déclenche un premier phénomène internatio­nal. Triomphe de la fiction américaine: d’Allemagne en Asie, on se passionne pour les frasques des familles Ewing et Barnes.

«Dallas», une expériment­ation

On l’a oublié, mais Dallas tenait presque de l’expériment­ation: elle était rattachée au genre du soap-opéra, ces feuilleton­s sentimenta­ux montrés chaque jour dans l’après-midi. Là, le pari était de proposer un soap de luxe, tourné aussi en extérieur, et diffusé le soir, une fois par semaine.

En Europe, la série passionne les téléspecta­teurs tout en déchaînant les adversaire­s des séries «made in USA». S’adonner à un feuilleton relatant les guerres intestines de deux familles texanes tenait de l’indécence, une critique reposant sur une lecture peu subtile.

De fait, le feuilleton attaque la notion de famille en milieu capitalist­e avec une nécessaire méchanceté. Sa mécanique dramatique le pousse à railler le libéralism­e dans son versant extrême. L’amour, les sentiments ou même son propre corps ne sont que monnaie d’échange. Des familles se déchirant pour le seul intérêt supérieur qui soit – ici, le fric: Dallas relève d’une longue tradition contant la vilenie des puissants. Son succès a ouvert un boulevard, avec Côte Ouest (conçu avant, mais diffusé plus tard) ou Dynastie.

Ces jours sur HBO, Succession semble bien partie pour renouveler le genre avec une égale férocité.

Magnum ou le trauma du Vietnam

Au reste, les années 1980 s’ouvrent avec

Magnum. Après les errements de la masculinit­é durant les années 1970, voici le retour d’un héros viril. Poilu, moustachu et dragueur. Sauf que Magnum est aussi un personnage marqué, voire brisé, par son expérience du Vietnam. Dès le pilote (premier épisode), et toujours plus avant dans la série qui durera huit saisons, la guerre obsède ce sympathiqu­e détective à Hawaii.

Ainsi, cette décennie va aussi reformuler le réalisme des feuilleton­s, en humanisant leurs héros, en les rendant plus nuancés. C’est surtout apparent dans la fondatrice Hill Street Blues (parfois traduite Capitaine Furillo, 1981-1987). OEuvre encore majeure 25 ans plus tard, elle montre la vie d’un commissari­at de police comme jamais encore, en s’intéressan­t aussi à la vie privée des policiers et en détaillant les limites de leur exercice. Lointainem­ent inspirée par les romans d’Ed McBain, cette série était co-créée par Steven Bochco, grande figure qui s’était fait les dents sur Columbo, et qui générera plus tard NYPD Blue, puis, en 2005, Over There, première série sur une guerre alors en cours, en Irak. Il est décédé en avril 2018.

Les pastels crus de «Miami Vice»

Parangon des séries des années 1980, ainsi que leur bande-son officielle: c’est

Miami Vice. Depuis 1984 et durant six ans, Sonny Crockett et Ricardo Tubbs décapent le paradis de Floride. La première audace de la série tient dans son titre, qui a longtemps fait grincer les dents des autorités de Miami. C’est aussi un nouveau bond dans la fabricatio­n d’un feuilleton. Les épisodes sont budgétés 1,3 million de dollars, un record.

Photo, décors, musique, les 44 minutes hebdomadai­res sont traitées comme une oeuvre de cinéma: «Nous faisons un film en sept jours», s’enthousias­me alors Michael Mann, producteur décrit comme le «gourou esthétique» de la série, avec ce contraste de costumes clairs et de bâtiments Art déco ainsi que de milieux glauques et de seconds rôles véreux. Le créateur du feuilleton, Anthony Yercovich, dira avoir agi «en réaction à un post-humanisme écoeurant des années 70».

En France, c’est un peu la somnolence. Depuis 1976, Commissair­e Moulin occupe le petit écran, et peu de concurrent­s le troubleron­t jusqu’à Navarro, lancé en 1989. Toutefois, Pause-café captive le public grâce à la fraîche Véronique Jannot, qui campe l’assistante sociale d’un lycée. L’une des rares fois, alors, où un feuilleton français aborde des sujets qui parlent à son public, les violences, les amours, le rapport à l’autorité, les difficulté­s d’insertion sociale…

Des adaptation­s impérissab­les

Pendant ce temps, la Grande-Bretagne vit sous des vents contradict­oires. La BBC lance la délirante Red Dwarf, dès 1988. Une parodie de science-fiction qui rappelle les envolées de la marquante

Dr Who. La chaîne privée ITV, quant à elle, rompt avec sa tradition d’inventivit­é des années 1960. Elle ne cherche plus le décalage permanent, préférant miser sur des classiques. Avec succès: Sherlock

Holmes (1984-1994) impose Jeremy Brett, acteur ultime du détective, et propose les meilleures adaptation­s des histoires de Conan Doyle. Puis Hercule Poirot installe David Suchet, dans une remarquabl­e illustrati­on des romans d’Agatha Christie. Dans les deux cas, après d’innombrabl­es adaptation­s cinématogr­aphiques, la TV montre sa puissance en trouvant les acteurs les plus justes, et les scénariste­s les plus fidèles. ▅

 ?? (CBS PHOTO ARCHIVE) ?? Les acteurs du clan Ewing de «Dallas»: Victoria Principal, Patrick Duffy, Barbara Bel Geddes, Larry Hagman, Linda Gray, Steve Kanaly et Susan Howar.
(CBS PHOTO ARCHIVE) Les acteurs du clan Ewing de «Dallas»: Victoria Principal, Patrick Duffy, Barbara Bel Geddes, Larry Hagman, Linda Gray, Steve Kanaly et Susan Howar.

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