Dans les années 1980, le fric, les flics et de grands classiques
«Dallas» captive de nombreux pays avec ses déchirements familiaux. D’autres veulent refonder la série policière, en augmentant sa violence dans «Miami Vice» ou en humanisant ses héros avec «Hill Street Blues»
Des bretelles d’autoroute. Un centre-ville de gratte-ciel au milieu du désert. Des moissonneuses dans des champs à perte de vue. Puis, sur ces images divisées par trois afin de remplir le petit écran: «Dallas, a Lorimar production».
Dallas démarre en 1978, mais, étendue jusqu’à 1991, elle marquera les années 1980. Elle est d’ailleurs découverte ici dès 1981, sur TF1. Ce feuilleton déclenche un premier phénomène international. Triomphe de la fiction américaine: d’Allemagne en Asie, on se passionne pour les frasques des familles Ewing et Barnes.
«Dallas», une expérimentation
On l’a oublié, mais Dallas tenait presque de l’expérimentation: elle était rattachée au genre du soap-opéra, ces feuilletons sentimentaux montrés chaque jour dans l’après-midi. Là, le pari était de proposer un soap de luxe, tourné aussi en extérieur, et diffusé le soir, une fois par semaine.
En Europe, la série passionne les téléspectateurs tout en déchaînant les adversaires des séries «made in USA». S’adonner à un feuilleton relatant les guerres intestines de deux familles texanes tenait de l’indécence, une critique reposant sur une lecture peu subtile.
De fait, le feuilleton attaque la notion de famille en milieu capitaliste avec une nécessaire méchanceté. Sa mécanique dramatique le pousse à railler le libéralisme dans son versant extrême. L’amour, les sentiments ou même son propre corps ne sont que monnaie d’échange. Des familles se déchirant pour le seul intérêt supérieur qui soit – ici, le fric: Dallas relève d’une longue tradition contant la vilenie des puissants. Son succès a ouvert un boulevard, avec Côte Ouest (conçu avant, mais diffusé plus tard) ou Dynastie.
Ces jours sur HBO, Succession semble bien partie pour renouveler le genre avec une égale férocité.
Magnum ou le trauma du Vietnam
Au reste, les années 1980 s’ouvrent avec
Magnum. Après les errements de la masculinité durant les années 1970, voici le retour d’un héros viril. Poilu, moustachu et dragueur. Sauf que Magnum est aussi un personnage marqué, voire brisé, par son expérience du Vietnam. Dès le pilote (premier épisode), et toujours plus avant dans la série qui durera huit saisons, la guerre obsède ce sympathique détective à Hawaii.
Ainsi, cette décennie va aussi reformuler le réalisme des feuilletons, en humanisant leurs héros, en les rendant plus nuancés. C’est surtout apparent dans la fondatrice Hill Street Blues (parfois traduite Capitaine Furillo, 1981-1987). OEuvre encore majeure 25 ans plus tard, elle montre la vie d’un commissariat de police comme jamais encore, en s’intéressant aussi à la vie privée des policiers et en détaillant les limites de leur exercice. Lointainement inspirée par les romans d’Ed McBain, cette série était co-créée par Steven Bochco, grande figure qui s’était fait les dents sur Columbo, et qui générera plus tard NYPD Blue, puis, en 2005, Over There, première série sur une guerre alors en cours, en Irak. Il est décédé en avril 2018.
Les pastels crus de «Miami Vice»
Parangon des séries des années 1980, ainsi que leur bande-son officielle: c’est
Miami Vice. Depuis 1984 et durant six ans, Sonny Crockett et Ricardo Tubbs décapent le paradis de Floride. La première audace de la série tient dans son titre, qui a longtemps fait grincer les dents des autorités de Miami. C’est aussi un nouveau bond dans la fabrication d’un feuilleton. Les épisodes sont budgétés 1,3 million de dollars, un record.
Photo, décors, musique, les 44 minutes hebdomadaires sont traitées comme une oeuvre de cinéma: «Nous faisons un film en sept jours», s’enthousiasme alors Michael Mann, producteur décrit comme le «gourou esthétique» de la série, avec ce contraste de costumes clairs et de bâtiments Art déco ainsi que de milieux glauques et de seconds rôles véreux. Le créateur du feuilleton, Anthony Yercovich, dira avoir agi «en réaction à un post-humanisme écoeurant des années 70».
En France, c’est un peu la somnolence. Depuis 1976, Commissaire Moulin occupe le petit écran, et peu de concurrents le troubleront jusqu’à Navarro, lancé en 1989. Toutefois, Pause-café captive le public grâce à la fraîche Véronique Jannot, qui campe l’assistante sociale d’un lycée. L’une des rares fois, alors, où un feuilleton français aborde des sujets qui parlent à son public, les violences, les amours, le rapport à l’autorité, les difficultés d’insertion sociale…
Des adaptations impérissables
Pendant ce temps, la Grande-Bretagne vit sous des vents contradictoires. La BBC lance la délirante Red Dwarf, dès 1988. Une parodie de science-fiction qui rappelle les envolées de la marquante
Dr Who. La chaîne privée ITV, quant à elle, rompt avec sa tradition d’inventivité des années 1960. Elle ne cherche plus le décalage permanent, préférant miser sur des classiques. Avec succès: Sherlock
Holmes (1984-1994) impose Jeremy Brett, acteur ultime du détective, et propose les meilleures adaptations des histoires de Conan Doyle. Puis Hercule Poirot installe David Suchet, dans une remarquable illustration des romans d’Agatha Christie. Dans les deux cas, après d’innombrables adaptations cinématographiques, la TV montre sa puissance en trouvant les acteurs les plus justes, et les scénaristes les plus fidèles. ▅