Le commissaire qui fait chanter la monarchie espagnole
José Manuel Villarejo, 66 ans, ébranle l’Espagne avec ses enregistrements clandestins de l’ancienne maîtresse du roi Juan Carlos
Le roi émérite Juan Carlos, la princesse allemande Corinna zu Sayn-Wittgenstein, le directeur des services secrets Félix Sanz Roldan. Trois personnages clés d’une affaire ultra-polémique en Espagne. Le premier voit sa réputation un peu plus entachée encore – il aurait touché des commissions occultes –, la deuxième alimente les suspicions quant à son rôle de femme de paille et d’entremetteuse sur les marchés d’Etat.
Le troisième va bientôt devoir aller s’expliquer devant les députés espagnols, à huis clos, et éclaircir le rôle de ses services dans ce considérable scandale, dans lequel le père de l’actuel monarque Felipe VI est accusé de s’être enrichi de façon frauduleuse.
Il y a toutefois dans ce feuilleton policier un quatrième personnage, retors, véreux, malin en diable, au coeur même de l’histoire: un commissaire de police à la retraite, placé en prison préventive en novembre dernier et qui attend d’être jugé pour «association de malfaiteurs» et «blanchiment de capitaux».
Derrière les barreaux de la prison madrilène d’Estremera, José Manuel Villarejo, 66 ans, est l’homme par lequel le scandale est arrivé. C’est lui qui, en 2015, aurait enregistré – semble-t-il via un micro-cravate dissimulé – la princesse allemande, une ancienne maîtresse de Juan Carlos, surnommée en Espagne «la tendre amie du roi».
C’est dans le cadre de cet enregistrement secret que Corinna zu Sayn-Wittgenstein affirme que l’ancien monarque aurait tenté de faire d’elle un «prête-nom» pour dissimuler ses transactions illicites. Dans les médias, ou
«Il fait partie de ces personnages sinistres, acteur et témoin des recoins les plus nauséabonds de l’Etat»
JESUS MARAÑA, DU JOURNAL D’INFORMATION «INFOLIBRE»
même sur l’échiquier politique, personne n’a pour l’instant mis en cause l’authenticité de ces enregistrements audio réalisés par l’ancien commissaire à l’insu des personnes piégées, parmi lesquelles ladite Corinna.
Pour les enquêteurs espagnols, les manigances de José Manuel Villarejo, bouc chenu et casquette, sont bien connues depuis longtemps. «Il fait partie de ces personnages sinistres, acteur et témoin des recoins les plus nauséabonds de l’Etat, souligne Jesus Maraña, du journal d’information InfoLibre. Le chantage est son arme principale.»
Originaire d’Andalousie, José Manuel Villarejo commence sa carrière de commissaire sous le franquisme. En 1983, alors que la démocratie s’est installée, il quitte le corps de police pendant une dizaine d’années. Pendant cette période, il travaillera pour 46 entreprises différentes, principalement des bureaux d’avocats et des agences de détectives. En 1993, il réincorporera la police, pour le compte du Ministère de l’intérieur.
Des factures en millions d’euros
Les médias savent depuis belle lurette à quoi s’est principalement adonné José Manuel Villarejo. «Un homme qui a fait son fonds de commerce de l’espionnage de juges, de journa-
listes, d’hommes d’affaires, de politiques, de hauts fonctionnaires», résume le quotidien El
Pais. Une activité qu’il rentabilise chèrement sous la forme du chantage. Pour ces activités qu’il appelait pudiquement «projets de gestion de crise», il aurait facturé 20,4 millions d’euros entre 1992 et 2010. Et, toujours selon El País, il a été jusqu’à demander 30 millions d’euros à huit «clients» différents entre 2013 et 2017, période pendant laquelle a donc lieu l’espionnage de la princesse Corinna zu Sayn-Wittgenstein évoquant les présumées fraudes pécuniaires de son «tendre ami» Juan Carlos.
En novembre dernier, l’Audience nationale – l’une des principales juridictions espagnoles – a ordonné l’interpellation du sulfureux ancien commissaire, précisément pour mettre fin à ces pratiques. Reste que les enregistrements réalisés pendant un quart de siècle par José Manuel Villarejo demeurent des «bombes à retardement», à l’instar de ceux révélés la semaine dernière à propos du présumé enrichissement illicite de l’ancien monarque Juan Carlos.
D’après la plupart des enquêteurs, ce serait d’ailleurs le sens de cette fuite qui scandalise la population et dont José Manuel Villarejo est à l’origine: exercer une forme de chantage auprès des institutions espagnoles sur le mode «Si vous me maintenez en prison et, qui plus est, si vous me condamnez, sachez que je dispose d’autres enregistrements très compromettants pour diverses hautes personnalités.»
Pour l’heure, même si son rang lui confère une immunité (certes moins forte depuis son abdication en 2014), le monarque émérite est sur la sellette. Les enregistrements de l’ancien commissaire ont sali un peu plus son image, déjà écornée par une série de scandales survenus depuis le début de cette décennie.