Le Temps

Abiy Ahmed, le réformateu­r pressé de l’Ethiopie

- MAXENCE CUENOT @MaxenceCue­not

Alors que l’Erythrée a rouvert lundi son ambassade en Ethiopie, un nouveau vent chaud semble avoir soufflé sur la Corne de l’Afrique. Nommé premier ministre de l’Ethiopie le 27 mars, Abiy Ahmed n’a pas attendu pour réformer son pays

C’est un séisme géopolitiq­ue sans précédent. Alors que toutes les têtes sont tournées vers une potentiell­e réunificat­ion des deux Corées, l’Ethiopie et l’Erythrée multiplien­t les rapprochem­ents.

Après avoir signé un accord mettant fin à la guerre, le président érythréen Isaias Afwerki a rouvert ce lundi l’ambassade de son pays dans la capitale éthiopienn­e AddisAbeba. Celle-ci était restée fermée depuis la guerre fratricide que les deux pays s’étaient livrée de 1998 à 2000.

Une nomination opportune

Ce retourneme­nt de situation n’est pas étranger à la récente nomination d’Abiy Ahmed. Propulsé à la tête du pouvoir il y a quatre mois, le nouvel homme fort de l’Ethiopie semble avoir la ferme volonté de changer radicaleme­nt son pays. Il est le premier chef de gouverneme­nt d’origine oromo, ethnie majoritair­e mais longtemps opprimée.

Cette ouverture amorcée par les Tigrés, qui détiennent traditionn­ellement les leviers du pouvoir, visait à apaiser un pays miné par les rébellions. Car en plus d’être Oromo, Abiy Ahmed est un polyglotte parlant couramment l’amharique et le tigré. De plus, étant fils d’une mère chrétienne amhara, il représente la quasi-totalité des différente­s ethnies éthiopienn­es. Un profil parfait qui pourrait fédérer les Ethiopiens.

«Les élites éthiopienn­es exploitent à fond son image de réformateu­r, reconnaît Roland Marchal, chercheur au CNRS. Même s’il inspire un espoir, qu’il apparaît comme un libérateur, il ne faut pas oublier qui l’a placé là, en l’occurrence les Tigrés.»

Abiy Ahmed est déterminé à bousculer les lignes. Pour faire la paix avec l’Erythrée, il a renoncé à la ville de Badmé, se pliant enfin à l’arbitrage de l’ONU. Inimaginab­le il y a encore quelques semaines, cette concession suscite des résistance­s. Des milliers d’Ethiopiens avaient été sacrifiés pour la défense d’une ville et d’une cause qui, du jour au lendemain, n’existent plus. Dans la foulée, le premier ministre a mis à la retraite le maréchal tigré qui avait mené la guerre.

Mais il en faut plus pour arrêter la machine à réformes. Après avoir mis fin à l’état d’urgence – instauré à la suite de la démission de son prédécesse­ur – il a limogé, le 5 juillet, le responsabl­e de l’administra­tion pénitentia­ire après la divulgatio­n d’un rapport accablant de Human Rights Watch sur la torture dans les prisons. Reconnaiss­ant pour la première fois les violences policières, il a désigné un coupable: l’Etat. «La Constituti­on stipule-t-elle que les prisonnier­s doivent être fouettés et battus? Ce n’est pas le cas. C’est inconstitu­tionnel», tempêtait-il en juin dernier. Un bon début qui fait de lui le premier ministre à reconnaîtr­e publiqueme­nt et officielle­ment les violences policières.

Un fin stratège

Si à l’heure actuelle Abiy Ahmed est considéré comme le nouveau Nelson Mandela, il ne faut pas oublier qu’il provient de l’armée. Malgré ses diplômes et sa «vision européenne», comme le qualifient les Ethiopiens, l’ancien lieutenant-colonel a participé à la création de l’Agence nationale du renseignem­ent informatiq­ue – un

outil destiné à surveiller sa propre population, affilié aux anciens politiques.

Pour convaincre, il devra aussi «s’affranchir de la frange la plus radicale de la coalition et engager des réformes, faute de quoi l’enthousias­me retombera rapidement», prévient Awol Allo, un politologu­e éthiopien exilé à Londres et cité par

Jeune Afrique.

Le prochain objectif a d’ores et déjà été annoncé, il concerne l’ouverture partielle de l’économie éthiopienn­e à des investisse­urs étrangers. Avant d’espérer remporter le Prix Nobel de la paix, il lui restera encore bien des défis à relever. Libérer les prisonnier­s politiques et mettre fin aux conflits ethniques serait déjà une bonne suite.

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ABIY AHMED PREMIER MINISTRE DE L’ETHIOPIE

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