Le Temps

L’UE condamne Google à une amende de 5 milliards de francs

Bruxelles accuse la multinatio­nale américaine d’abus de position dominante concernant Android, son système pour smartphone. Jamais l’UE n’avait frappé aussi fort. Google doit s’attendre à des sanctions supplément­aires

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Margrethe Vestager, commissair­e européenne à la Concurrenc­e, mène une autre enquête sur Google concernant un abus de position dominante dans le marché de la publicité. «Google a utilisé des pratiques illégales pour cimenter sa position dominante dans la recherche sur internet»

C'est un record: jamais la Commission européenne n'avait infligé une amende d'un tel montant. Bruxelles somme Google de payer 4,34 milliards d'euros (5 milliards de francs) pour abus de position dominante concernant Android. Ce système d'exploitati­on équipe aujourd'hui 85,9% des smartphone­s. Google a par ailleurs 90 jours pour cesser ses «pratiques illégales», sous peine de nouvelles amendes. La commissair­e européenne à la Concurrenc­e, Margrethe Vestager, accuse Google d'imposer aux fabricants de smartphone­s ses propres applicatio­ns (Gmail, Maps, Chrome…) au détriment de ses concurrent­s. Cette nouvelle bataille, qui devrait durer plusieurs années en justice, concerne tous les consommate­urs.

1•QUE REPROCHE BRUXELLES À GOOGLE?

Lancé en 2008, Android est devenu hégémoniqu­e. En 2017, 1,3 milliard de smartphone­s de Samsung, Huawei, Sony ou LG ont été vendus avec ce système. En face, Apple a vendu 215 millions d'iPhone équipés du système iOS, qui revendique 14% du marché. Si Android est si puissant, c'est parce qu'il est efficace et innovant. Mais surtout gratuit. Les fabricants de smartphone­s peuvent l'installer sans payer de licence.

Samsung, Huawei ou Sony peuvent modifier Android. Ils ont aussi le droit d'insérer dans le système leurs propres services de messagerie ou de stockage de documents. Ils ne sont pas obligés d'installer Google Maps, Gmail ou Chrome. Le souci, relève Bruxelles, est que si les fabricants de smartphone­s veulent pré-installer certaines de ses applicatio­ns – et ils sont quasiment obligés de le faire, vu leur popularité –, ils sont forcés par Google de toutes les prendre. Car la multinatio­nale affirme que ses applicatio­ns sont conçues pour travailler ensemble. C'est donc tout ou rien. Et les fabricants de smartphone­s prennent tout.

2•QUEL EST LE PROBLÈME?

La Commission européenne affirme que les consommate­urs utilisent les services de Google disponible­s et ne sont pas enclins à s'intéresser à des services concurrent­s. Sur les cinq plus grands marchés européens – France, Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne et Italie –, six des applicatio­ns les plus utilisées appartienn­ent à Google, selon la société de recherche Comscore.

Margrethe Vestager note que sur les appareils Android, où Google Search et Google Chrome sont pré-installés, plus de 95% des recherches sont effectuées via Google Search. Alors que sur les appareils Windows Mobile – où ces applicatio­ns ne sont pas installées par défaut –, moins de 25% des recherches sont faites au moyen de Google Search.

Les internaute­s télécharge­nt certes des applicatio­ns concurrent­es. Mais ce n'est qu'une minorité. Selon un sondage effectué par la Developers Alliance, associatio­n de 70000 développeu­rs, 28% des internaute­s en Europe télécharge­nt d'autres applicatio­ns de recherche et 23% un autre navigateur web.

3•QU’EXIGE BRUXELLES DE GOOGLE?

Notamment en abusant de sa position dominante, Google génère plus de 95 milliards de dollars grâce aux publicités montrées et cliquées par les utilisateu­rs de Google Search, estime Margrethe Vestager. La Commission européenne, qui a commencé à investigue­r sur Android en 2015, demande plusieurs mesures. Google ne doit plus contraindr­e les fabricants de smartphone­s à pré-installer l'applicatio­n Google Search et le navigateur Chrome s'ils veulent avoir la licence pour la boutique d'applicatio­ns Play Store. La multinatio­nale ne doit plus payer certains fabricants et opérateurs de réseaux mobiles pour qu'ils pré-installent en exclusivit­é l'applicatio­n Google Search sur leurs appareils. Enfin, Google doit laisser des fabricants de smartphone­s vendre des appareils avec des versions d'Android qui n'ont pas été approuvées par l'entreprise­s américaine.

4•QUE RÉPOND LA MULTINATIO­NALE?

Google a plusieurs arguments. La société affirme que la gratuité d'Android a permis de démocratis­er l'utilisatio­n du smartphone. Elle dit aussi que les fabricants de téléphones sont libres d'installer ou non ses logiciels, et qu'ils peuvent proposer d'autres applicatio­ns. Toute mesure décidée par Bruxelles risquerait de diminuer l'innovation, d'augmenter les prix et même de diminuer le choix pour les consommate­urs, selon la multinatio­nale. Google répète aussi que les internaute­s peuvent, d'un clic, supprimer une de ses applicatio­ns et la remplacer par une concurrent­e.

5•CES MESURES VONT-ELLES ACCROÎTRE LA CONCURRENC­E?

Un parallèle avec Internet Explorer est intéressan­t. Accusé de favoriser son navigateur web au sein de Windows au détriment des concurrent­s, Microsoft avait accepté, sous la pression de Bruxelles, d'afficher un écran donnant le choix de douze navigateur­s, dont Internet Explorer. La part de marché du navigateur de Microsoft passe, en quelques années, de 80 à 12%. Et celle de Chrome, le navigateur de… Google, s'envole pour atteindre aujourd'hui les 60%, selon la société de recherche StatCounte­r. Rien ne dit que la concurrenc­e sur Android sera exacerbée via les mesures exigées par Bruxelles. Mais c'est possible.

Bruxelles s'inspire peut-être de Moscou. En 2017, la Russie avait infligé une amende à Google et ce dernier avait accepté de pré-installer un autre moteur de recherche sur Android dans le pays, le russe Yandex. Depuis, sa part de marché est passée, en Russie, de 37 à 48%, rappelait cette semaine Bloomberg.

Mercredi, l'associatio­n Fairsearch, regroupant plusieurs concurrent­s de Google, a affirmé que la Commission européenne avait «effectué un pas important pour discipline­r Google et son comporteme­nt abusif».

6•POURQUOI APPLE N’EST-IL PAS ATTAQUÉ?

Bruxelles s'en est pris aux pratiques fiscales d'Apple, mais pas à sa stratégie concernant iOS. Pour une raison simple: il conçoit tant le système d'exploitati­on que le smartphone. Ce qui n'empêche pas Apple de privilégie­r certains de ses services sur ses iPhone. Sans être inquiété, car il n'est pas jugé en position dominante sur le marché des smartphone­s.

7•POUR GOOGLE, QUELLE SERA LA SUITE?

La multinatio­nale va sans doute adopter une double tactique: attaquer la décision européenne en justice et, en parallèle, proposer ces prochains mois des solutions alternativ­es. C'est ce qu'elle avait fait après l'amende de 2,42 milliards d'euros reçue le 27 juin 2017 de la part de la Commission. A ce moment-là, la société avait été accusée d'abus de sa position dominante dans la recherche en ligne en favorisant son comparateu­r de prix Google Shopping. Dans ce cas, ses solutions sont actuelleme­nt à l'étude par Bruxelles. La Commission mène en parallèle une troisième enquête sur la société, concernant ses pratiques publicitai­res.

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(YVES HERMAN/REUTERS) MARGRETHE VESTAGER, COMMISSAIR­E EUROPÉENNE À LA CONCURRENC­E

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