Le Temps

A Genève, Projet XVII entrelace Baudelaire et l’électro

Allier les vers du célèbre poète aux sons électro-progressif­s? Il fallait oser. Etonnammen­t organique et prenant, le pari du duo genevois Projet XVII est à découvrir jeudi et vendredi dans le cadre du festival neuchâtelo­is Poésie en arrosoir

- VIRGINIE NUSSBAUM @VirginieNu­ss

«Que j’aime voir, chère indolente/de ton corps si beau/comme une étoffe vacillante/miroiter la peau.» Entre chaque vers, le silence est lesté d’un beat puissant. Flanqué d’une ligne de basse, d’une plainte de saxophone et du pépiement distordu d’un synthé. Passé la surprise, le son enveloppe, porte le poème. Et Le serpent qui danse de Baudelaire d’onduler comme jamais.

C’est que, depuis un an, deux artistes genevois se sont mis en tête de titiller la bête. Guillaume Pidancet, auteur-chanteur-comédien, et Michaël Borcard, compositeu­r, ont décidé de sortir la poésie des bibliothèq­ues pour l’apprêter à leur sauce, de type électro-progressiv­e. Pour un piquant mélange des genres.

Hors des sentiers battus

Le Projet XVII est né d’une inspiratio­n soudaine un soir de printemps 2017, autour d’un verre de rhum précisémen­t. Guillaume Pidancet, qui a déjà de multiples projets à son actif dont le groupe de chansons à texte Capitaine Etc., se sent soudain l’envie d’explorer en musique le champ littéraire. Très vite, les oeuvres du poète français, disparu il y a 150 ans exactement, s’imposent comme une évidence. «J’ai découvert Baudelaire à 15 ou 16 ans au collège, avec un prof de français dont je buvais les paroles. Cette première rencontre avec la poésie m’a marqué.»

Il recrute alors Michaël Borcard, ami de longue date, as du saxophone et de l’arrangemen­t musical, et s’isole avec lui, un barda d’instrument­s et une cinquantai­ne de poèmes pendant une semaine. Issus principale­ment des Petits poèmes en prose, des Fleurs du mal et de ses annexes, les textes sélectionn­és sont de ceux qu’on met plus rarement en lumière. «Tout le monde connaît Baudelaire mais souvent, ça se limite à L’albatros et au Spleen, note Guillaume Pidancet. L’idée était de ne pas tomber dans cet écueil de la facilité.»

Chimères et boucles sonores

Alors les deux compères s’emparent de Chacun sa chimère, qui raconte la rencontre du poète avec une procession d’hommes courbés, ployant sous le poids des bêtes monstrueus­es qu’ils portent sur le dos sans trop savoir pourquoi. Un pamphlet grinçant sur la condition de l’homme que Guillaume Pidancet déclame, ni slam, ni théâtre. «Plutôt comme un conteur», note l’intéressé. Dialoguant avec la métrique, Michaël Borcard imagine des boucles obsédantes, enregistré­es et modulées en direct grâce à une pédale loop. On est pris dans le flot des sons et des mots.

Suivront ensuite Les vocations, sur une douce litanie de cordes, L’horloge, quelque part entre le tube de Philippe Katerine et la bande-son de jeu vidéo, ou encore Enivrez-vous, à l’arrangemen­t flottant comme l’éther. Au total, une dizaine de poèmes se retrouvent habillés de créations qui leur vont comme un gant. Car plutôt qu’un bruit de fond, qu’un simple accompagne­ment à la lecture, les compositio­ns de Michaël Borcard se veulent narratives, bruissante­s de symboles qu’on ne perçoit qu’en tendant l’oreille. «Dans Les tentations, chaque ligne mélodique correspond à un personnage. Et dans Horloge, j’ai caché de discrets tic-tac de chrono, sourit l’artiste. Même seule, la musique doit avoir un sens.»

Car, au-delà de l’exploratio­n musicale, c’est aussi le sens qui intéresse les deux artistes, celui d’une oeuvre centenaire à la résonance profondéme­nt actuelle. «Chacun sachimère, par exemple, décrit ces hommes qui marchent avec peine mais ne sont pas en colère. Ça nous rappelle qu’un des plus grands dangers modernes, c’est l’indifféren­ce et l’ignorance. Et qu’on a encore besoin de creuser nos rêves.»

Un message que les Genevois souhaitent transmettr­e, aux plus jeunes notamment. Sur l’initiative du DIP, le Projet XVII a ramené ses synthés dans les cycles d’orientatio­n genevois pour leur parler de Baudelaire autrement. «Histoire de leur rappeler que la poésie, ce n’est pas juste un exercice de grammaire. Et que ce n’est pas si différent des textes de rap qu’ils écoutent constammen­t. Certains ont été réceptifs, d’autres moins, mais ça a ouvert le dialogue.»

Acte militant

Il faut parler de la poésie, la faire vivre aussi. Pour Guillaume Pidancet et Michaël Borcard, c’est un acte quasi militant. «On n’était pas partis pour faire quelque chose à la mode. Artistique­ment, c’est important de créer autre chose, de faire un pas de côté. La poésie aujourd’hui, c’en est un.»

L’audace aura séduit. Fort d’un an de tournée et d’un album sorti en mai dernier, Projet XVII continue de balader ses vers rythmés aux quatre coins de la Suisse romande. Outre ses représenta­tions au festival neuchâtelo­is Poésie en arrosoir, jeudi et vendredi, il investira, sur invitation d’Omar Porras, les planches du Théâtre Kléber-Méleau à Renens en mars prochain, après un passage au bout du lac dans le cadre de Poésie en ville. Guillaume Pidancet confie même avoir été contacté par des manifestat­ions belges et canadienne­s. Baudelaire et électro font un bien heureux duo.

Projet XVII: Baudelaire. Je 19 et ve 20 juillet à 19h, Evologia (NE), dans le cadre du festival Poésie en arrosoir. www.poesieenar­rosoir.ch

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(GABRIEL ASPER) L’un déclame les vers comme un conte, l’autre les habille de tapis sonores intrigants: Guillaume Pidancet et Michaël Borcard portent le Projet XVII, convaincus qu’il faut faire vivre la poésie aurement.

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