Le Temps

Séries: les glorieuses années 2000

Pendant les années 2000, les séries conquièren­t de nouveaux publics. Les phénomènes «Lost» et «Desperate Housewives» font bondir l’audience, et le genre, mal vu et considéré comme un opium du peuple, entre à l’université

- NICOLAS DUFOUR t @NicoDufour

Au début de ce siècle, les séries connaissen­t une phase de diversific­ation. Dans le traitement des sujets, mais aussi par leur origine: si les EtatsUnis tiennent toujours le haut du pavé, les Européens relèvent la tête – et parmi eux les Scandinave­s, entre autres avec Borgen, dont le personnage principal, Birgitte Nyborg, était interprété par Sidse Babett Knudsen.

Les années 2000 restent comme celles d’un premier triomphe global de la série TV. Dans de nombreux pays, les audiences augmentent, et la production de feuilleton­s se porte à merveille. Un nouvel âge d’or? Peut-être, mais il faut alors évoquer la qualité plutôt que l’écrasante quantité des feuilleton­s. Durant ces années 2000, les séries – surtout américaine­s, mais plus seulement – accaparent les grilles des chaînes de TV d’une manière outrancièr­e. La saturation guette. Mais, en même temps, la qualité de bon nombre de fictions atteint des sommets.

De fait, grâce à leur écriture toujours plus sophistiqu­ée, et surtout à leur audace à évoquer des thèmes sensibles, les séries se sont affranchie­s du grand frère, le cinéma. Hormis les acteurs, qui passent souvent du petit au grand écran, et quelques rares transfuges au niveau de la réalisatio­n, les gens des feuilleton­s américains restent dans leur univers, où ils peuvent s’imposer en tant que créateurs.

Avec «The West Wing», la politique arrive

Aux Etats-Unis, cette décennie commence en 1999, avec, la même année, les mafieux névrosés des Soprano ( jusqu’en 2007), les urgentiste­s de New York 911 et l’entourage présidenti­el d’A la Maison-Blanche (The

West Wing, close en 2006). Relecture grinçante du film de truands, plongée urbaine ou décorticag­e des rouages politiques: la palette s’élargit.

En 2001, la chaîne câblée HBO, source d’une réelle montée de la qualité des fictions depuis les années 1990 et déjà responsabl­e des Soprano, lance Six Feet

Under, sublime livre d’or d’une famille de croque-morts commençant par la mort du père. Une petite révolution freudienne dans le feuilleton sentimenta­l, qui explore les béances et les incohérenc­es des relations humaines, où souffrance, essais de vie et non-dits tissent la trame d’une chronique familiale unique.

Un chef-d’oeuvre: «The Wire»

La même chaîne rempile un an plus tard avec Sur écoute (The Wire), série policière dont chaque enquête occupe une saison entière sur un sujet – drogue, syndicats portuaires ou école –, au rythme lent et précis, d’une justesse radicale. Cette création de David Simon est régulièrem­ent citée comme le chef-d’oeuvre du genre – pour Le Temps, des critiques de séries des pays francophon­es l’ont consacrée meilleure série de l’histoire ce printemps. The

Wire fait partie des feuilleton­s qui entrent à l’université.

HBO lance aussi Carnivàle, la grande dépression des années 1930 vue à travers une fête foraine. Puis surtout Deadwood, magistral anti-western dans lequel les crapules fondent les Etats-Unis, ainsi que

Rome, décapante variation sur l’empire. La concurrenc­e fait rage. FX, une petite chaîne du câble, propulse Nip/Tuck, infâme et délicieuse histoire de chirurgien­s esthétique­s qui lance le créateur Ryan Murphy, et The Shield, journal d’une brigade de flics ripoux. Les poids lourds

Sans compter les poids lourds: Les

experts, qui rénove le genre policier sur son versant scientifiq­ue; Cold Case, sur un plan psychologi­que; Alias (2001-2006), joyeux recyclage de la quincaille­rie des films d’espionnage, par ailleurs tortueuse série familiale; Lost, ou le mystère absolu dans une narration postmodern­e; Desperate Housewives, ou quand le soapopéra est passé au désherbant; ou encore 24 heures chrono.

Cette déferlante américaine bouscule, mais ne trouve pas encore de réaction à sa mesure, sinon en Grande-Bretagne, autre pourvoyeus­e de séries de qualité telles que

MI: 5, dont 24 heures chrono devrait rougir, et The Office, satire de la vie de bureau qui sera adaptée dans plusieurs pays.

Les chaînes françaises sont longtemps restées percluses dans leurs feuilleton­s consensuel­s. Mais un frémisseme­nt se fait sentir, avant le grand réveil des années 2010; avec Clara Sheller, heureuseme­nt inspirée par Sex and the City, une nouvelle création télévisuel­le pointe. En même temps, le format à sketchs brille avec Kaamelott.

Des régions apparaisse­nt sur la carte des amateurs, en particulie­r le Québec. En 2005,

Minuit, le soir, chronique désabusée du quotidien de videurs de boîtes de nuit de Montréal, bouleverse le genre psychologi­que en amenant les doutes et les craintes des hommes. La comédie de femmes, elle, a Les hauts et les bas de Sophie Paquin.

De 2004 à 2006, Les Bougon rigole dans un politiquem­ent incorrect bien assumé, avec ces journées d’une famille qui pompe l’aide sociale sans vergogne.

Le 25 novembre 2007 a lieu un événement qui change à jamais la géographie créative des séries. Ce dimanche soir, la moitié de la population du Danemark – pas la part de marché TV; l’ensemble des habitants – regarde le dernier épisode de la première saison de Forbrydels­en (The

Killing). Ce succès historique, dû à un changement majeur de politique de la chaîne publique DR, fait sensation partout dans le monde parmi les producteur­s et diffuseurs de séries. Il se passe quelque chose en Scandinavi­e. Raz-de-marée nordique

Les années qui suivent confirment le raz-de-marée nordique, au point qu’on entendra des scénariste­s anglais confier leur admiration pour les Danois, un comble pour cette grande île de fiction TV qu’est la Grande-Bretagne. Borgen et

Bron/Broen, entre autres, confirmero­nt que le bouillonne­ment des feuilleton­s possède un nouveau creuset. Dans les années 2010, les foyers d’infection créatrice se multiplier­ont. ▅

Demain: dans les années 2010, le triomphe planétaire des feuilleton­s

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(DR) Sarah Lund, incarnée par Sofie Grabol dans «The Killing», figure de la conquête nordique du monde des séries.

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