Séries: les glorieuses années 2000
Pendant les années 2000, les séries conquièrent de nouveaux publics. Les phénomènes «Lost» et «Desperate Housewives» font bondir l’audience, et le genre, mal vu et considéré comme un opium du peuple, entre à l’université
Au début de ce siècle, les séries connaissent une phase de diversification. Dans le traitement des sujets, mais aussi par leur origine: si les EtatsUnis tiennent toujours le haut du pavé, les Européens relèvent la tête – et parmi eux les Scandinaves, entre autres avec Borgen, dont le personnage principal, Birgitte Nyborg, était interprété par Sidse Babett Knudsen.
Les années 2000 restent comme celles d’un premier triomphe global de la série TV. Dans de nombreux pays, les audiences augmentent, et la production de feuilletons se porte à merveille. Un nouvel âge d’or? Peut-être, mais il faut alors évoquer la qualité plutôt que l’écrasante quantité des feuilletons. Durant ces années 2000, les séries – surtout américaines, mais plus seulement – accaparent les grilles des chaînes de TV d’une manière outrancière. La saturation guette. Mais, en même temps, la qualité de bon nombre de fictions atteint des sommets.
De fait, grâce à leur écriture toujours plus sophistiquée, et surtout à leur audace à évoquer des thèmes sensibles, les séries se sont affranchies du grand frère, le cinéma. Hormis les acteurs, qui passent souvent du petit au grand écran, et quelques rares transfuges au niveau de la réalisation, les gens des feuilletons américains restent dans leur univers, où ils peuvent s’imposer en tant que créateurs.
Avec «The West Wing», la politique arrive
Aux Etats-Unis, cette décennie commence en 1999, avec, la même année, les mafieux névrosés des Soprano ( jusqu’en 2007), les urgentistes de New York 911 et l’entourage présidentiel d’A la Maison-Blanche (The
West Wing, close en 2006). Relecture grinçante du film de truands, plongée urbaine ou décorticage des rouages politiques: la palette s’élargit.
En 2001, la chaîne câblée HBO, source d’une réelle montée de la qualité des fictions depuis les années 1990 et déjà responsable des Soprano, lance Six Feet
Under, sublime livre d’or d’une famille de croque-morts commençant par la mort du père. Une petite révolution freudienne dans le feuilleton sentimental, qui explore les béances et les incohérences des relations humaines, où souffrance, essais de vie et non-dits tissent la trame d’une chronique familiale unique.
Un chef-d’oeuvre: «The Wire»
La même chaîne rempile un an plus tard avec Sur écoute (The Wire), série policière dont chaque enquête occupe une saison entière sur un sujet – drogue, syndicats portuaires ou école –, au rythme lent et précis, d’une justesse radicale. Cette création de David Simon est régulièrement citée comme le chef-d’oeuvre du genre – pour Le Temps, des critiques de séries des pays francophones l’ont consacrée meilleure série de l’histoire ce printemps. The
Wire fait partie des feuilletons qui entrent à l’université.
HBO lance aussi Carnivàle, la grande dépression des années 1930 vue à travers une fête foraine. Puis surtout Deadwood, magistral anti-western dans lequel les crapules fondent les Etats-Unis, ainsi que
Rome, décapante variation sur l’empire. La concurrence fait rage. FX, une petite chaîne du câble, propulse Nip/Tuck, infâme et délicieuse histoire de chirurgiens esthétiques qui lance le créateur Ryan Murphy, et The Shield, journal d’une brigade de flics ripoux. Les poids lourds
Sans compter les poids lourds: Les
experts, qui rénove le genre policier sur son versant scientifique; Cold Case, sur un plan psychologique; Alias (2001-2006), joyeux recyclage de la quincaillerie des films d’espionnage, par ailleurs tortueuse série familiale; Lost, ou le mystère absolu dans une narration postmoderne; Desperate Housewives, ou quand le soapopéra est passé au désherbant; ou encore 24 heures chrono.
Cette déferlante américaine bouscule, mais ne trouve pas encore de réaction à sa mesure, sinon en Grande-Bretagne, autre pourvoyeuse de séries de qualité telles que
MI: 5, dont 24 heures chrono devrait rougir, et The Office, satire de la vie de bureau qui sera adaptée dans plusieurs pays.
Les chaînes françaises sont longtemps restées percluses dans leurs feuilletons consensuels. Mais un frémissement se fait sentir, avant le grand réveil des années 2010; avec Clara Sheller, heureusement inspirée par Sex and the City, une nouvelle création télévisuelle pointe. En même temps, le format à sketchs brille avec Kaamelott.
Des régions apparaissent sur la carte des amateurs, en particulier le Québec. En 2005,
Minuit, le soir, chronique désabusée du quotidien de videurs de boîtes de nuit de Montréal, bouleverse le genre psychologique en amenant les doutes et les craintes des hommes. La comédie de femmes, elle, a Les hauts et les bas de Sophie Paquin.
De 2004 à 2006, Les Bougon rigole dans un politiquement incorrect bien assumé, avec ces journées d’une famille qui pompe l’aide sociale sans vergogne.
Le 25 novembre 2007 a lieu un événement qui change à jamais la géographie créative des séries. Ce dimanche soir, la moitié de la population du Danemark – pas la part de marché TV; l’ensemble des habitants – regarde le dernier épisode de la première saison de Forbrydelsen (The
Killing). Ce succès historique, dû à un changement majeur de politique de la chaîne publique DR, fait sensation partout dans le monde parmi les producteurs et diffuseurs de séries. Il se passe quelque chose en Scandinavie. Raz-de-marée nordique
Les années qui suivent confirment le raz-de-marée nordique, au point qu’on entendra des scénaristes anglais confier leur admiration pour les Danois, un comble pour cette grande île de fiction TV qu’est la Grande-Bretagne. Borgen et
Bron/Broen, entre autres, confirmeront que le bouillonnement des feuilletons possède un nouveau creuset. Dans les années 2010, les foyers d’infection créatrice se multiplieront. ▅
Demain: dans les années 2010, le triomphe planétaire des feuilletons