Un été 68 (avec le Jura en vue)
Le Conseil exécutif du canton de Berne nomme en juillet 1968 une brochette de personnalités politiques qui décideront, parmi d’autres, de l’avenir du séparatisme jurassien
Le canton du Jura entrera en souveraineté en 1979. Onze ans plus tôt, en été 1968, l’ambiance est encore surchauffée entre séparatistes et anti-séparatistes. Le 16 juillet de cette année, le Conseil exécutif bernois crée une Commission des bons offices chargée de ramener le calme. Avec quels espoirs? Retour sur quelques archives.
Et en Suisse, pendant ces temps agités? Dans le climat libertaire ambiant de 1968, au coeur de la partie jurassienne du canton de Berne, les autonomistes du groupe Bélier font feu de tout bois, de manière pacifiste et souvent potache. Mais le Conseil fédéral panique, craignant une montée en puissance d’une forme de terrorisme. L’armée est mise sous haute tension et, le 16 juillet 1968, le Conseil exécutif bernois crée la Commission des bons offices chargée d’amener les deux parties à une entente. Elle est composée des anciens et futur conseillers fédéraux Max Petitpierre, Friedrich Traugott Wahlen et Pierre Graber, ainsi que du chef du DIP d’Appenzell Rhodes-Intérieures et conseiller national Raymond Broger.
Celle-ci constitue une des instances qui proposeront un additif constitutionnel en votation populaire deux ans plus tard. Il décidera des modalités d’une procédure d’au- todétermination dans le Jura bernois via des plébiscites. Mais pour l’heure, le très conservateur correspondant du Journal de Genève à Berne, Jacques-Simon Eggly, sous le titre programmatique «Tradition et avenir», prend position. Il se réjouit «que se lève à l’horizon l’espoir d’une solution raisonnable» suite à «la peur d’un pourrissement» de la situation «et de ses conséquences alarmantes».
Confiance dans les experts
Alors, enfin, pour lui, voici «l’intervention fédérale»! Cette désignation de quatre personnalités «ayant une grande expérience des problèmes politiques suisses» représente le fruit du compromis helvétique, car elles «appartiennent aux quatre partis gouvernementaux». Si l’on se souvient des «bons offices» de Nicolas de Flue et du convenant de Stans au XVe siècle, «leur influence ne peut être que déterminante». Car, dit le commentaire du
Journal, «on ne dérange pas deux anciens conseillers fédéraux pour leur demander des avis de droit constitutionnel». Eux seuls sauront «faire accepter à tous les concessions inévitables» pour le «faire», ce canton du Jura. Qui, croit-il, ne se créera pas «contre les uns ou malgré les autres». Le mérite de ces quatre experts fédéraux «est de redonner confiance».
La Gazette de Lausanne, la veille, était moins optimiste. Dans son édition du 18 juillet, elle use d’un joli chiasme pour donner un sens à ce fier quatuor: «Un certain espoir plus qu’un espoir certain.» Mais elle, elle est allée sentir le pouls de «l’homme de la rue» qui, de manière générale, «ne laisse aucune place au miracle». Et surtout pas «à brève échéance» – il faudra encore onze années pour créer le 23e canton suisse. Sur place, les citoyens delémontains et bruntrutains, surtout, redoutent beaucoup de «rapports» inutiles et de paperasserie plutôt que des faits concrets.
Mais ces quatre personnalités-là ne font en tout cas l’objet d’«aucune critique sérieuse», «leur intégrité n’est pas mise en doute», «les mots ouverture, détente et dégel reviennent très souvent». Et de conclure sur cette fable proférée par «un jeune interlocuteur» qui reflète bien «l’opinion générale»: «Il y a quelque temps nous étions comme perdus dans une grande gare, ignorant quel train prendre et sur quel quai monter. Maintenant nous sommes sur le bon quai, mais pas encore dans le bon train qui mènera à la solution.»
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