Le Temps

L’impasse du Brexit fait planer le spectre d’un divorce abrupt

A Londres, le dossier de la sortie de l’Union européenne tourne à la crise politique. Aucune des issues possibles n’est soutenue par une majorité parlementa­ire

- PHILIPPE BERNARD ET CÉCILE DUCOURTIEU­X, LE MONDE

Sauvée! Une fois encore, la générale en chef du Brexit, Theresa May, a échappé à l’embuscade.

Mardi 17 juillet, dans une atmosphère électrique aux Communes, il a fallu que quatre députés euroscepti­ques de l’opposition travaillis­te votent avec le gouverneme­nt pour sauver, à un cheveu près, la première ministre britanniqu­e, qui ne possède qu’une minuscule majorité parlementa­ire à Westminste­r. Douze députés conservate­urs anti-Brexit lui ont fait défection, votant avec le Labour un amendement favorable au maintien dans l’union douanière européenne.

Après une journée de chaos, ce texte pro-européen visant à obliger Theresa May à renoncer à sa principale ligne rouge – la sortie du marché unique et de l’union douanière – a été rejeté de justesse par 307 voix contre 301.

La première ministre ne contrôle plus son propre parti – en cours d’implosion – et le Brexit est devenu synonyme de crise politique et d’impasse. Aucune des issues possibles au divorce avec l’Union européenne (UE) n’est soutenue par une majorité parlementa­ire. S’il en fallait la preuve, les derniers jours l’ont administré­e.

Concession au Brexit dur

Plus conciliant à l’égard de l’UE, le «livre blanc» de Theresa May sur l’avenir des relations avec le continent après le Brexit a déclenché un tollé chez les tories. La visite à Londres de Donald Trump, qui a soufflé sur les braises vendredi 13 juillet, a donné des ailes aux pro-Brexit les plus durs. Lundi, ils sont passés à l’offensive à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur le commerce après le divorce. A la consternat­ion des modérés, la première ministre leur a cédé, non pas sur un détail, mais sur un point central de son «livre blanc»: elle a accepté un amendement interdisan­t au RoyaumeUni de percevoir des taxes à la frontière pour le compte de l’UE, une mesure qu’elle veut emblématiq­ue de sa main tendue aux Vingt-Sept.

Ainsi, ni le «livre blanc», ni l’option nettement pro-européenne, ni l’issue extrême d’une rupture avec l’UE sans le moindre accord («no deal») n’ont à ce stade les faveurs conjointes de la majorité parlementa­ire et du parti conservate­ur.

Partisans du dernier scénario, les extrémiste­s pro-Brexit n’ont pas, pour l’heure, les moyens politiques de leurs ambitions. Ils pourraient déclencher un vote de défiance (48 voix suffisent), mais ils ne le font pas, sachant qu’ils n’auront pas les 159 voix nécessaire­s pour faire tomber Theresa May.

Cependant, la radicalisa­tion du débat est telle que le crash des négociatio­ns avec Bruxelles n’est plus une hypothèse d’école. «Beaucoup de tories euroscepti­ques estiment que le choix est entre le plan de Theresa May et la sortie de l’UE sans deal», résume James Forsyth, chroniqueu­r à l’hebdomadai­re conservate­ur The Spectator.

Accès au nirvana

Furieux de voir la première ministre défendre le maintien dans le marché unique européen pour les marchandis­es, les partisans du «no deal» sortent peu à peu du bois. Le Brexit ultralibér­al dont ils ont toujours rêvé consiste à transforme­r le Royaume-Uni en pays pratiquant le dumping fiscal, social et environnem­ental aux portes du continent. Pas question pour eux de rester dans une union douanière qui barre l’accès à leur nirvana: des accords de libre-échange purement «British» avec les Etats-Unis, l’Inde et la Chine.

Mais ce «Singapour sur la Manche» heurte de plein fouet le vote populaire pro-Brexit qui recherche au contraire un Etat plus protecteur, voire protection­niste. Et les conséquenc­es économique­s immédiates – chaînes d’approvisio­nnement coupées, files de camions à la frontière – en seraient catastroph­iques.

L’ex-patron du Foreign Office, Boris Johnson, et l’actuel ministre de l’Environnem­ent, Michael Gove, attendent pourtant leur heure, misant sur une chute de Theresa May, voire de nouvelles élections pour promouvoir cette nouvelle révolution thatchérie­nne.

Ce scénario catastroph­e, l’UE veut absolument l’éviter. Répondant à une question sur l’amende infligée aux responsabl­es de la campagne pro-Brexit pour avoir enfreint le code électoral lors du référendum de 2016, Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission européenne, a botté en touche: «La situation est assez compliquée pour que j’ajoute ici des commentair­es.» A Bruxelles, personne n’ose encore dire officielle­ment son fait à Theresa May, de peur de l’affaiblir encore davantage et d’aggraver le chaos politique à Londres.

Exigences incompatib­les

Le «livre blanc» de la première ministre ne respecte pas davantage les «lignes rouges» des Européens que ses précédente­s propositio­ns. Il réclame en effet la poursuite de l’accès au marché intérieur européen sans en respecter les quatre libertés de circulatio­n, puisque Londres veut se ménager la possibilit­é de contrôler sa migration.

Les Britanniqu­es souhaitent aussi maintenir leur participat­ion dans des agences européenne­s (sécurité aérienne, sécurité des aliments), ce qui est incompatib­le avec le statut de pays tiers et l’autonomie de décision des Européens. Londres propose encore un système de double contrôle douanier, considéré comme une usine à gaz.

Pour autant, la Commission de Bruxelles et les Etats membres ne devraient pas repousser sèchement la propositio­n, sachant le capital politique qu’elle a déjà coûté à Theresa May. «Ce livre blanc ne doit pas être considéré comme une base de négociatio­n, il est plutôt destiné à un usage de politique intérieure. Si on le décortique trop, on va casser la dynamique de discussion», relève un diplomate européen.

Si l’intérêt des Européens prime, ils ne souhaitent pas la chute de la première ministre britanniqu­e. Qui signifiera­it la perte de précieux mois de négociatio­ns, alors que l’échéance du Brexit se rapproche dangereuse­ment: c’est pour dans huit mois. «Theresa May a fait preuve jusqu’à présent d’une vraie résilience», souligne un diplomate bruxellois.

Preuve cependant que la crainte d’un «no deal» monte sérieuseme­nt à Bruxelles: la Commission a rédigé un document détaillant la marche à suivre en l’absence d’accord le 30 mars 2019, jour du Brexit officiel. Selon la chaîne irlandaise RTE, le texte souligne qu’au jour du divorce les Etats membres devront considérer le RoyaumeUni comme un pays tiers et réintrodui­re les contrôles aux frontières, pour les biens et les personnes.

«Beaucoup de tories euroscepti­ques estiment que le choix est entre le plan de Theresa May et la sortie de l’UE sans deal» JAMES FORSYTH, CHRONIQUEU­R À L’HEBDOMADAI­RE «THE SPECTATOR» Après une journée de chaos, le texte pro-européen visant à obliger Theresa May à renoncer à sa principale ligne rouge – la sortie du marché unique et de l’union douanière – a été rejeté de justesse.

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