Le Temps

«Cette équipe multicultu­relle rend fier»

Auteur de plusieurs livres sur la géopolitiq­ue du football, Pascal Boniface voit dans l’équipe de France victorieus­e au Mondial la preuve d’une mutation positive. Un miroir de l’histoire coloniale, et de la capacité du pays à la dépasser

- PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Dans ses livres L’empire foot (Ed. Armand Colin) et Planète football (Ed. Steinkis), Pascal Boniface décrypte l'impact social, politique et diplomatiq­ue du football mondialisé. Présent au stade Loujniki de Moscou dimanche pour la finale, le directeur de l'Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS), Pascal Boniface, n'est pas surpris des commentair­es sur l'équipe de France «africaine» victorieus­e au Mondial. Une réalité issue de l'histoire coloniale, que tous les pays d'Europe sont loin de partager et que l'extrême droite ne digère toujours pas.

Pour Pascal Boniface, l’équipe de France, dont plusieurs membres sont originaire­s des banlieues, peut redonner confiance aux jeunes qui y résident et se sentent délaissés, voire méprisés.

un empire colonial sur le continent africain, et qui a gardé des liens étroits avec les ex-pays colonisés. Elle est le reflet d'une histoire avant d'être aujourd'hui le miroir des banlieues et des cités, comme on l'a beaucoup écrit.

L'Italie, terre d'émigration devenue terre d'immigratio­n, n'a pas du tout vécu cela. Sa seule colonie africaine était l'Ethiopie. Idem pour l'Espagne, présente en Afrique dans le Sahara occidental. Le racisme sportif y reste donc beaucoup plus répandu. En Italie, Mario Balotelli s'est fait plusieurs fois traiter de singe sous le maillot national. Sans parler des refrains racistes en Europe centrale, où les opinions publiques sont chauffées à blanc sur la question des migrants. fierté. Je pense évidemment à ces villes de banlieue dont plusieurs joueurs sont originaire­s, et qui sont d'ordinaire méprisées, considérée­s comme des problèmes ou des abcès. Pour les jeunes de ces cités, voir les visages de leurs anciens copains de stade Kylian Mbappé ou Samuel Umtiti projetés sur l'Arc de triomphe, c'est une sacrée raison de retrouver confiance. C'est aussi la magie unique du foot. On s'identifie à une équipe, à une nation. C'est une source d'inspiratio­n, et c'est très bien comme ça. C'est quand même très différent d'un pilote de formule 1 originaire des beaux quartiers.

L'équipe de 1998 n'était pas «Black-BlancBeur». Le seul beur était Zinédine Zidane! Les joueurs d'origine africaine étaient bien plus nombreux. J'ai même retrouvé une autre statistiqu­e: en 2002, l'équipe de France brièvement entraînée par Jacques Santini comptait neuf joueurs «africains» sur onze! Donc l'appellatio­n «Blanc-Black» correspond bien plus à la réalité.

Sur la démonstrat­ion des signes religieux, vous avez raison: elle est devenue plus visible. Mais tout, dans le football, est devenu plus démonstrat­if, à commencer par la célébratio­n des buts! L'équipe victorieus­e à Moscou compte plusieurs musulmans: Paul Pogba, Adil Rami, N'Golo Kanté. On n'est donc pas face à une équipe chrétienne évangélist­e, comme certains voudraient l'affirmer. Sur ce plan, l'équipe brésilienn­e est bien plus «typée».

Si Benzema avait joué en Russie, tous ses faits et gestes auraient à coup sûr été épiés. Mais ceux qui attribuent la non-sélection de Benzema à du racisme ont complèteme­nt tort. Didier Deschamps ne l'a pas retenu pour une question d'équilibre du groupe. Tout comme Aimé Jacquet avait, en 1996, renoncé à sélectionn­er Eric Cantona, qui n'est pas musulman.

GÉOPOLITOL­OGUE «En 1998, le leader du Front national, Jean-Marie Le Pen, avait jugé «artificiel de faire venir des joueurs de l’étranger et de les baptiser équipe de France»

Une partie de l'extrême droite, sa frange la plus identitair­e, fulmine en cachette. Logique. En plus de ne pas lui plaire, cette équipe multicultu­relle est une très mauvaise nouvelle politique tant elle démontre la capacité de la France à dépasser ses clivages. L'équipe «africaine» est le reflet d'une France rejetée par ces électeurs-là, même lorsqu'elle gagne.

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(FREDERIC STEVENS/GETTY IMAGES)
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PASCAL BONIFACE

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