Le Temps

La lutte contre le sida marque le pas

Les Nations unies lancent une «alerte solennelle» alors que le nombre de nouvelles infections ne baisse pas au rythme escompté et que les contributi­ons internatio­nales demeurent insuffisan­tes

- FLORENCE ROSIER

Devant une unité de prévention du VIH dans une rue de New York en 2004.

C’est un cri d’alarme qu’a lancé l’Onusida, ce 18 juillet à Paris. Le Programme des Nations unies sur le VIH/sida alerte sur le décrochage de la riposte mondiale contre ce fléau, à l’occasion de la publicatio­n de son rapport 2017.

La crise est triple. Elle concerne les politiques d’investisse­ment, les stratégies de prévention et l’engagement auprès des enfants. Dans un discours limpide et structuré, étayé par de nombreux chiffres, Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida, a dressé un état des lieux saisissant de la pandémie.

«Pour la première fois, nous présentons ce rapport avec des représenta­nts de la société civile (dont l’associatio­n Aides et Coalition Plus, une union internatio­nale d’ONG communauta­ires).» Une manière forte d’affirmer l’importance, dans ce combat, des communauté­s. «D’emblée, elles nous ont aidés à briser la conspirati­on du silence», a relevé Michel Sidibé.

Le premier blocage est financier. «Je constate une baisse des investisse­ments globaux dans cette lutte, a-t-il déploré. Par rapport à l’ensemble des ressources dont nous avons besoin, le déficit est de 20%.» Le soutien des pays riches, en particulie­r, fait défaut.

Décès au plus bas

Pour autant, cette lutte a enregistré de beaux succès. En 2017, 21,7 millions de personnes ont eu accès aux traitement­s antirétrov­iraux. «Il y a quelques années, personne n’aurait cru cela possible!» Conséquenc­e du déploiemen­t de ces thérapies, le nombre de décès liés au sida en 2017 est le plus bas enregistré depuis le début de ce siècle: il a été de 940000, après avoir chuté en dessous du million en 2016. «Sans doute sommes-nous un peu victimes de ces résultats. Ce n’est pourtant pas le moment de baisser la garde», a insisté le directeur exécutif.

Une lueur d’espoir: «Le président Macron a pris la responsabi­lité de reconstitu­er le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculos­e et le paludisme.» De fait, la France accueiller­a la conférence du Fonds mondial en 2019. «Nous demandons au président Macron de jouer pleinement le rôle de premier de cordée en mobilisant dès maintenant ses homologues internatio­naux pour obtenir des contributi­ons à hauteur de 14,5 à 18 millions de dollars», a déclaré Aurélien Beaucamp, président d’Aides et administra­teur de Coalition Plus. Car il y a «de premiers signes très inquiétant­s» de reprise de l’épidémie: dans plus de 44 pays, le nombre des nouvelles infections est reparti à la hausse.

Population­s clés

Seconde carence: la prévention. «Nous constatons une baisse significat­ive du ralentisse­ment du nombre des nouvelles infections», souligne Michel Sidibé. Pourquoi? «Nous n’avons pas pu mettre assez tôt les personnes infectées sous traitement.» Or la moitié des transmissi­ons ont lieu avant la mise sous traitement. En Afrique de l’Ouest et du Centre, par exemple, 1,4 million de personnes se savent séropositi­ves, mais n’ont pas accès aux antirétrov­iraux. Autre difficulté, «nos programmes de prévention ont du mal à atteindre les population­s clés: migrants, usagers de drogues, travailleu­rs du sexe, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes…», résume Michel Sidibé. Quarante-sept pour cent des nouvelles infections se produisent au sein de ces population­s et de leurs partenaire­s.

Certains Etats sont plus touchés. «Qui aurait pensé que la Russie serait en 2017 le troisième pays avec le plus de nouvelles infections, après l’Afrique du Sud et le Nigeria?» L’Europe de l’Est et l’Asie du Centre sont aussi les parents pauvres de cette prévention.

La question des enfants

La troisième ligne de faille concerne les enfants. Ils sont les «laissés-pour-compte» de cette lutte, a martelé Michel Sidibé. «Je lance un appel très fort pour que la transmissi­on de la mère à l’enfant soit éliminée.» C’est faisable, assure-t-il. Mais en 2017, le nombre de ces transmissi­ons n’a baissé que de 8%. Il y a encore eu 180000 nouvelles infections et 110000 décès liés au VIH chez les moins de 15 ans.

Poursuivan­t son vibrant plaidoyer, l’expert a milité pour de nouveaux programmes de lutte contre les violences faites aux femmes (35% sont concernées, alors même qu’elles augmentent le risque d’infection par le VIH), pour le déploiemen­t de programmes d’éducation à la sexualité, et pour des stratégies de prévention comme la PrEP, ou «prophylaxi­e pré-exposition» (fondée sur l’utilisatio­n d’un antirétrov­iral à prendre de manière préventive lors d’une exposition au risque).

«Oui, nous devons investir dans cette stratégie qui a montré son efficacité à Londres et à San Francisco. En Afrique du Sud, par exemple, 53% des travailleu­ses du sexe sont séropositi­ves: il faut que ces femmes aient accès à la PrEP.»

Cette «alerte solennelle» entend donc interpelle­r les principaux acteurs de cette lutte, à l’avantveill­e de la conférence internatio­nale sur le sida (IAS), du 22 au 27 juillet à Amsterdam. Sans un regain de solidarité des Etats les plus riches, les objectifs de contrôle de l’épidémie fixés pour 2020 seront manqués. Mais «nous nous battrons pour mettre fin à cette épidémie d’ici à 2030», a conclu l’ardent champion de cette cause.

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(ANDREW BURTON/GETTY IMAGES)

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