Le Temps

L’oeuvre d’une vie sans limites

-

Les monstres de béton recouverts d’éclats de céramiques colorées de Bruno Weber évoquent le parc Güell d’Antonio Gaudi, à Barcelone, ou encore le jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle, en Toscane. Tous trois puisaient dans le répertoire surréalist­e et bestiaire pour créer leurs mondes. Ils ont aussi en commun d’avoir consacré une grande partie de leur vie à la réalisatio­n d’un projet les dépassant, à la fois oeuvre monumental­e et lieu de vie. «Bruno ne connaissai­t pas le travail de Gaudi lorsqu’il a réalisé ses premières sculptures. Mais quand il les a vues, il s’est exclamé: «C’est mon âme soeur!» raconte Anna Maria Weber, veuve du sculpteur alémanique.

Niki de Saint Phalle avait connu une révélation similaire lorsqu’elle s’était rendue pour la première fois dans le parc Güell, en 1955: subjuguée par le travail de l’architecte catalan, elle décidait de s’en inspirer. La plasticien­ne franco-américaine, connue pour ses sculptures de femmes, les Nanas, considérer­a son jardin toscan comme l’oeuvre de sa vie. Ce terrain situé dans un coin de nature, peuplé de créatures joyeuses et colorées, l’a mobilisée durant vingt ans, de 1978 à 1998, quatre ans avant sa mort. Elle a aussi visité le parc de Bruno Weber. Comme lui, elle a habité son oeuvre: L’impératric­e, une statue de femme, lui servira d’appartemen­t et d’atelier durant sept ans.

Bruno Weber considérai­t ses sculptures comme une partie de son environnem­ent naturel. Elles devaient se fondre dans le paysage. On peut voir aussi une parenté dans sa démarche avec une autre «oeuvre totale»: le Palais idéal de Joseph Ferdinand Cheval. Durant plus de trente ans, ce facteur a érigé à Hauterives, dans la Drôme, un monument avec des pierres récoltées sur les chemins, lors de ses tournées de distributi­on du courrier. Attaché au courant de l’art brut, il a en commun avec Bruno Weber de s’être improvisé architecte autodidact­e. On songe enfin à un jardin plus ancien encore, celui de Bomarzo, en Italie. Un parc jonché de sculptures de pierre et de figures inspirées de la mythologie, conçu entre 1552 et 1580 et dont l’anarchie, aux antipodes des jardins carrés de la Renaissanc­e, reste un mystère aujourd’hui encore.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland