Le Temps

Comment la Chine implante ses moyens de fabricatio­n au Vietnam

De plus en plus de producteur­s de biens déplacent leurs usines dans ce pays d’Asie du Sud-Est. Les salaires y sont plus bas. Et cela permet de contourner les tarifs américains imposés sur les produits made in China

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

La Chine va construire sept zones industriel­les dans la province du Guangxi, le long de sa frontière avec le Vietnam. Elles auront chacune une surface de 20 à 100 km2 et hébergeron­t une centaine d’usines. Surtout, elles seront à cheval sur la frontière entre les deux pays: les biens qui y seront assemblés pourront donc bénéficier de l’étiquette made in Vietnam, même si leurs composants proviennen­t de Chine. «Cela permettra d’éviter les tarifs imposés par Washington sur les biens chinois», a indiqué Xiong Hongming, le patron d’une entreprise du Guangxi qui a investi dans ce projet, début juillet.

Quelques jours plus tôt, les Etats-Unis avaient en effet décrété une taxe à l’importatio­n de 25% sur une série de produits chinois valant au total 34 milliards de dollars. Une semaine plus tard, ils proposaien­t de l’étendre à 200 milliards de dollars de biens en provenance de l’Empire du Milieu. Depuis quelques années, le Vietnam est naturellem­ent devenu une destinatio­n de premier choix pour les firmes chinoises, mais aussi étrangères, qui souhaitent éviter les tarifs imposés par l’Oncle Sam.

Salaires plus bas

Une série de taxes antidumpin­g introduite­s en 2015 pour protéger les fabricants de meubles américains face aux producteur­s chinois de lits, de tables de chevet et d’armoires bon marché a provoqué un exode de ces derniers vers le Vietnam. Le secteur du meuble y a crû de 7 à 8% par an ces trois dernières années. Globalemen­t, les investisse­ments directs étrangers au Vietnam ont progressé de 44% en 2017, pour atteindre 36 milliards de dollars. En 2015, ils ne s’étaient élevés qu’à 14,5 milliards de dollars.

Le succès de ce pays de 95 millions d’habitants ne s’explique pas uniquement par sa capacité à contourner les tarifs américains. «Le salaire d’un travailleu­r d’usine y atteint 200 dollars par mois environ, contre 500 dollars en Chine, relève Maxfield Brown, un expert de l’Asie du Sud-Est auprès du cabinet de consulting Dezan Shira. De nombreuses entreprise­s qui avaient choisi de s’y installer dans les années 1990 ont donc commencé à déplacer leurs opérations au Vietnam.»

Plus d’électroniq­ue, moins de textile

Le gouverneme­nt voit ce développem­ent d’un bon oeil. «Il a mis en place une série de rabais fiscaux pour encourager les investisse­ments étrangers», glisse Maxfield Brown. Il a aussi signé plusieurs accords de libreéchan­ge, ce qui facilite les exportatio­ns de biens produits au Vietnam. «Il en a avec la Corée du Sud et la Russie, détaille l’expert. Un autre, conclu avec l’Union européenne, entrera en vigueur d’ici à la fin de l’année.» Le pays négocie en outre un accord avec les pays de l’AELE, dont fait partie la Suisse. Il est aussi l’un des 11 pays à avoir rejoint le successeur du partenaria­t transpacif­ique.

L’industrie électroniq­ue est celle qui a le plus profité de ces avantages. «Elle représente désormais près de 40% des exportatio­ns vietnamien­nes, contre 10% en 2010», note Maxfield Brown. Le Vietnam est devenu le deuxième plus important producteur de smartphone­s au monde après la Chine. Samsung, qui a investi 17 milliards de dollars sur place, a installé une méga-usine dans le nord du pays, qui emploie 60 000 ouvriers et fabrique une bonne partie de ses téléphones. LG y produit pour sa part des téléviseur­s et Microsoft des smartphone­s.

L’industrie textile et de la chaussure (19% des exportatio­ns vietnamien­nes) est elle aussi bien implantée. Des marques comme Nike ou Adidas y ont récemment déplacé une partie de leurs usines chinoises.

Mais la stratégie vietnamien­ne de ces firmes n’est pas sans risques, surtout lorsque les investisse­ments ont pour but unique de contourner les tarifs américains. Face aux taxes antidumpin­g imposées en 2015 par Washington, plusieurs producteur­s d’acier chinois se sont mis à faire transiter leurs produits par le Vietnam, pour pouvoir leur accoler l’étiquette made in Vietnam, alors que la matière première provenait de Chine. En mai, les Etats-Unis ont décidé de mettre le holà à cette pratique en introduisa­nt une taxe sur l’acier vietnamien. Celle-ci atteint plus de 200%.

«Le salaire d’un travailleu­r d’usine atteint 200 dollars par mois environ au Vietnam, contre 500 dollars en Chine»

MAXFIELD BROWN, EXPERT AUPRÈS DU CABINET DE CONSULTING DEZAN SHIRA

 ?? (ZHANG AILIN/XINHUA) ?? Des poids lourds attendent de passer la frontière entre le Vietnam et la région autonome chinoise du Guangxi.
(ZHANG AILIN/XINHUA) Des poids lourds attendent de passer la frontière entre le Vietnam et la région autonome chinoise du Guangxi.

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