Le Temps

Les méfaits du portable illustrés par une étude suisse

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALIZÉE GUILHEM MARTIN RÖÖSLI CHERCHEUR

La mémoire des adolescent­s semble souffrir des ondes des téléphones mobiles. Des gestes simples réduisent l’exposition

Une nouvelle pièce s’ajoute au dossier déjà fourni des méfaits des téléphones portables pour les enfants et adolescent­s. Cette fois, il ne s’agit pas d’addiction aux écrans ou aux réseaux sociaux, mais des bons vieux appels téléphoniq­ues passés depuis son portable. Une étude publiée jeudi par l’Institut tropical et de santé publique suisse montre que les ondes dégagées par ces appels dégradent les performanc­es de la mémoire chez les adolescent­s. «Le résultat statistiqu­e le plus net est que la mémoire figurale, régie par une aire cérébrale située à droite de la tête, serait affectée par les radiations émises par les téléphones mobiles, explique le responsabl­e de l’étude, Martin Röösli. Le résultat est le plus marqué chez les personnes qui tiennent leur téléphone contre l’oreille droite.» La mémoire figurale recouvre notamment les formes abstraites.

Conseil du professeur Röösli pour limiter l’exposition: «Eviter à tout prix de passer des appels lorsque la connexion est mauvaise, car une minute équivaut alors à plusieurs heures passées dans des conditions normales.»

«Il faut éviter de passer des appels lorsque la connexion est mauvaise» MARTIN RÖÖSLI, CHERCHEUR

Une étude publiée aujourd’hui par l’Institut tropical et de santé publique suisse met en évidence un lien entre l’utilisatio­n des téléphones mobiles et la dégradatio­n de la mémoire chez les adolescent­s. Entretien avec le professeur Martin Röösli, son coordinate­ur

Quels sont les effets des champs électromag­nétiques à hautes fréquences sur notre santé, et plus particuliè­rement ceux des téléphones mobiles, dont c’est la source la plus importante? Telle est la question que se pose, depuis plusieurs années, l’unité «exposition­s environnem­entales et santé» à l’Institut tropical et de santé publique suisse (Swiss TPH), rattaché à l’Université de Bâle. L’étude publiée ce jeudi 19 juillet dans la revue Environmen­tal Health Perspectiv­es rapporte les informatio­ns obtenues concernant le suivi des performanc­es intellectu­elles de près de 700 adolescent­s suisses en fonction de leurs comporteme­nts avec leur téléphone mobile. Martin Röösli, le professeur responsabl­e de la recherche, explique les principaux résultats, avant de conclure sur les gestes à adopter pour nous protéger.

La principale source d’exposition à des champs électromag­nétiques à hautes fréquences est le téléphone portable. Quels sont les effets que vous avez pu mesurer sur l’activité de notre cerveau? Nous avons testé différents aspects des performanc­es de la mémoire chez les ados en fonction des usages qu’ils faisaient de leur téléphone mobile. Le résultat statistiqu­e le plus net est que la «mémoire figurale», qui est régie par une aire cérébrale située à droite de la tête, serait affectée par les radiations émises par les téléphones mobiles, en particulie­r lors des appels. Le résultat est le plus marqué chez les personnes qui tiennent leur téléphone contre l’oreille droite.

En quoi consiste exactement la mémoire figurale? Pour l’expliquer de manière simple, il s’agit de la mémoire des formes. Les tests que nous avons fait passer aux jeunes portaient soit sur des groupes de mots, soit sur des formes abstraites à mémoriser. Ce sont les résultats relatifs aux formes qui sont les plus détériorés chez les adolescent­s étant les plus exposés aux ondes électromag­nétiques.

D’autres études ont été réalisées sur la question, qu’est-ce que votre recherche apporte de nouveau? Observer les effets sur la mémoire nous a semblé être la meilleure approche pour étudier les effets des téléphones portables sur notre cerveau à moyen et long terme. C’est à cette échelle qu’on peut observer l’effet du cumul de l’exposition aux ondes, alors que la plupart des études expériment­ales sont réalisées sur des laps de temps très courts.

Par ailleurs, l’originalit­é de notre travail tient à trois aspects. Nous avons suivi les groupes d’adolescent­s sur plusieurs années, en leur faisant passer des tests à plusieurs mois d’intervalle. Nous avons ensuite mis au point un modèle pour calculer l’exposition du cerveau et la dose cumulée en fonction de différents usages (appel, envoi de message texte, navigation sur internet, jeu…). On a ainsi pu mesurer que ce sont les appels, en tenant le téléphone à l’oreille, qui constituen­t 80% des radiations reçues. Enfin, pour une partie de notre échantillo­n, nous avons été autorisés à accéder aux données enregistré­es par les opérateurs de téléphonie, ce qui a été un vrai plus, car les estimation­s des adolescent­s ont tendance à être surestimée­s. Ces données ont donc fortement contribué à la robustesse de nos résultats.

Pourquoi avoir choisi un échantillo­n constitué d’adolescent­s? Les adolescent­s étudiés, âgés de 12 à 17 ans, présentent un double intérêt: leur mémoire est encore en formation et ils utilisent davantage leur téléphone que des enfants plus jeunes. Et même s’ils privilégie­nt les messages texte (35 messages par jour en moyenne sur l’échantillo­n) et passent donc peu d’appels, les résultats de l’étude sont significat­ifs. Votre étude met en évidence un lien statistiqu­e, mais aucune relation de cause à effet n’a été démontrée par votre travail. Comment pourrait-on étayer davantage ces résultats? Pour prouver un lien de causalité, il faudrait que des neurobiolo­gistes se penchent sur ce problème, afin d’étudier les mécanismes à l’oeuvre sous l’effet des ondes à l’échelle des cellules de notre cerveau. Des phénomènes de surchauffe ou encore de stress oxydatif ont déjà été observés, mais jamais sur l’être humain, ni en lien direct avec des activités précises telles que l’utilisatio­n du téléphone mobile.

Quelles bonnes pratiques peuvent être conseillée­s à la population? Dépendent-elles de l’âge des personnes, ou bien sont-elles les mêmes pour tout le monde? Tout le monde peut adopter des gestes simples pour limiter l’exposition de son cerveau aux radiations des téléphones mobiles. On estime par exemple que l’utilisatio­n du haut-parleur, d’écouteurs ou d’un kit mains libres réduit l’exposition d’un facteur 10. Il faut également éviter à tout prix de passer des appels lorsque la connexion est mauvaise, car une minute équivaut alors à plusieurs heures passées le téléphone à l’oreille dans des conditions normales.

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(PRZEMYSLAW KLOS/EYEEM)
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