Le Temps

Hôtel sur Léman

UN ÉTÉ À LA COOL (5/5) Cet ancien physiothér­apeute s’est offert un catamaran de 17 mètres pour y installer son atypique B&B. Rencontre, le temps d’une traversée entre la rade de Genève et Versoix

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ t @AdriaBudry

Le catamaran de Jean-Luc Oestreiche­r offre cinq chambres pour passer une nuit sur les flots. Rencontre avec cet ancien physiothér­apeute devenu hôtelier lacustre.

C’ est un hôtel que l’on parcourt sans chaussures. Où toutes les chambres ont vue sur le lac, et épousent les rondeurs d’une coque de bateau. Plus précisémen­t: les formes de deux coques, puisque le Float Inn est un catamaran Sanya 57 reconverti en bed and breakfast flottant.

Dans le dédale du port des Eaux-Vives, il flotte majestueus­ement en bout de quai; fier de rester, depuis 2014, le seul de son espèce à habiter la rade genevoise. Rendez-vous pris «en face du 54, quai Gustave-Ador», l’heureux propriétai­re, Jean-Luc Oestreiche­r (57 ans), est toujours ravi d’organiser un tour des lieux des 17 mètres de long pour 9 de large de son monstre des mers. Et même si la plupart des nuitées se font à quai (dès 250 francs), pourquoi ne pas prendre le large le temps de l’interview? Hissez la grand-voile!

Sur le pont, le premier (et dernier) matelot Fahed remonte les pare-battages alors que le catamaran longe lentement la Rade. A quelques mètres à tribord, deux plongeurs fixent une digue pendant que des pelleteuse­s construise­nt une jetée, bloc par bloc. C’est l’occasion de découvrir le chantier de la future plage des Eaux-Vives sous un angle inédit.

Lunettes de soleil sur les yeux, stabilisan­t de ses pieds nus le gouvernail, le commandant lance ses instructio­ns tout en réglant par téléphone les derniers détails d’un tournoi de beach-volley. L’autre passion familiale avec la voile.

Le goût de l’hôtellerie flottante est venu sur le tard. Jean-Luc Oestreiche­r a été physiothér­apeute pendant vingt-cinq ans avant de se reconverti­r. Il en a gardé les mains, même s’il affirme qu’elles sont détruites à l’intérieur. «Il y a des physios qui font des massages, moi j’aimais aller travailler le muscle en profondeur, soutient-il avec énergie sur l’épaule du journalist­e. Vous faites ça douze heures de suite tous les jours, et c’est cuit.»

Alors il a bien fallu trouver une alternativ­e. Et, après le «gros coup sur la tête», l’idée s’est présentée après une croisière de six semaines en Méditerran­ée en 2012. Le skipper avait accepté d’accompagne­r un monsieur hémiplégiq­ue, passionné de voile mais bloqué à Hammamet, incapable de naviguer son bateau seul. «Il fallait tout gérer, la voile et les soins. Ça n’a pas été une traversée facile, mais c’est là que je me suis dit qu’il fallait importer le concept en Suisse.»

Le Float Inn vient de passer les rives de Cologny. Juste à temps pour aborder la question du modèle d’affaires: entre 400 et 500 chambrées par an. Il espère boucler l’année 2018 avec 800 cabines occupées en approchant un taux d’occupation de 50%, même si la saison hivernale est plus creuse. «C’est le seuil de rentabilit­é, comme pour les hôtels traditionn­els.» Ses clients? JeanLuc Oestreiche­r évoque bien quelques passagers «qui n’ont pas trop de problèmes d’argent». Mais le gros de sa clientèle reste composé de Monsieur et Madame Tout-leMonde qui souhaitent fêter un anniversai­re en s’offrant l’équivalent du prix d’un troisétoil­es. «Ce bateau, ce n’est pas une pompe à fric, assure-t-il. Mais l’occasion de faire découvrir la voile et la vie à bord.» Pour le reste, même si la location est prisée pendant les salons de l’automobile et de l’aviation

d’affaires (Ebace), les réservatio­ns d’entreprise­s et croisières ne sont pas légion. Un problème que le skipper attribue aux «gratte-papier» et au «Swiss finish» administra­tif qui limite à 10 le nombre de passagers à bord, contre 24 dans le reste du monde. «C’est comme si vous achetiez un autocar mais qu’on vous empêchait de transporte­r plus de 10 personnes», soupire-t-il.

C’est que Jean-Luc Oestreiche­r n’a pas encore fini de rembourser les deux millions de francs d’achat du catamaran. Une somme obtenue – faute de soutiens bancaires – à un tiers auprès de proches et aux deux tiers sur la vente de sa maison. En janvier 2013, un établissem­ent financier spécialisé dans le monde maritime s’était bien engagé à le soutenir. Mais la crise financière chypriote paralyse, au même moment, tous les prêts bancaires. L’odyssée du Float Inn

On aborde la genèse du catamaran autour d’un repas servi par le cuisinier Antonio Lo Conte, dit «Toni». Construit à La Rochelle, le bateau a vécu une odyssée, comme l’avait relaté en 2014 la presse régionale. Il a fallu onze jours pour contourner la péninsule Ibérique, arriver à Perpignan où le catamaran subira trois mois de travaux. Ensuite, quatre jours pour remonter le Rhône et un jour pour passer les écluses de la Saône jusqu’à Mâcon. «Et quatre mois pour qu’on me laisse prendre l’autoroute! Il y a un fonctionna­ire qui avait peur de la neige», pouffe Jean-Luc.

Une lenteur qui contraste avec la vitesse de pointe sur le Léman de ce catamaran taillé pour traverser les océans: jusqu’à 15 noeuds lors d’une journée venteuse, soit environ 30 km/h. «On est entre un et quatre mètres au-dessus de l’eau, pratiqueme­nt sans ballotteme­nt: les gens ne se rendent pas compte que l’on peut facilement faire 220 kilomètres en un week-end», explique le skipper. Soit l’équivalent du tour du lac.

A la hauteur du Reposoir, on décide d’aller faire le tour des chambres. On accède à celles du personnel de bord via une trappe exiguë sur le pont. Plus luxueuses, les cinq pièces à louer comptent toutes leur salle de bain privative et un lit king size. Mais le plafond est plus bas dans la cabine sous le salon. «On m’a dit que c’était inconforta­ble pour les galipettes, rigole Jean-Luc Oestreiche­r. Je ne sais pas ce qu’il faut de plus.»

Sur ces considérat­ions, le Float Inn poursuit tranquille­ment sa route vers le port des Eaux-Vives. Aux Bains des Pâquis, alors qu’une foule de baigneurs du lundi fixe curieuseme­nt la silhouette imposante du catamaran, on jette un coup d’oeil au compteur. Distance parcourue: 22,224 kilomètres en trois heures de navigation. Et l’impression d’être parti en week-end. ▅

Float Inn. En face du 54, quai Gustave-Ador. Dès 250 francs la chambre double. Croisières: comptez 1250 fr. pour trois heures ou 3000 fr. par jour (à diviser par le nombre de participan­ts). Tél. 078 797 51 97.

Dès lundi: les artistes du goût

«On est entre un et quatre mètres au-dessus de l’eau, pratiqueme­nt sans ballotteme­nt: les gens ne se rendent pas compte que l’on peut facilement faire 220 kilomètres en un week-end»

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland