Le Temps

Mais encore...

Notre décennie est marquée par une explosion massive de la demande de fiction par épisodes. De «La Casa de Papel» aux succès israéliens en passant par des pays émergents, les séries deviennent une catégorie majeure des industries culturelle­s

- NICOLAS DUFOUR t @NicoDufour La semaine prochaine: les nouveaux habits de l'habitat

La saga des séries, la chronique de Célia Héron, le sudoku...

Qui connaît Via a vis (orthograph­e originale), l’histoire d’une femme folle de son patron au point de franchir les lignes? Hormis quelques aficionado­s espagnols, personne. Via a vis est la série qu’Alex Pina a créée avant La

Casa de Papel. Le feuilleton, qui a duré quatre saisons, n’a guère dépassé les frontières.

La Casa de Papel, elle, est devenue un phénomène culturel global, singée au festival de Rio, fascinant les Japonais, captivant en Afrique, bref, un produit culturel mondial, hissé à ce sommet par le seul fait que Netflix l’a achetée à sa chaîne d’origine, en Espagne.

L'âge d'or, c'est maintenant

Dans le petit monde des séries, les amateurs parlent d’un nouvel âge d’or depuis le début des années 2000, en le calant, selon les points de vue, à Twin Peaks ou

The X-Files dès les années 1990, ou aux Soprano à la fin de cette décennie. Au coeur de l’industrie mondiale de l’audiovisue­l, personne ne doute: l’âge d’or, c’est maintenant.

Il ne s’est jamais dépensé autant d’argent pour produire des fictions en série. Le faramineux budget de Netflix pour ses production­s propres en 2018, 8 milliards de dollars – près de cinq fois la dépense totale annuelle de la SSR – n’est qu’une pièce de l’échiquier planétaire des histoires sérielles. Le Japon augmente ses production­s, la Corée du Sud aussi, tandis qu’un nombre croissant de pays d’Amérique latine monte en puissance. Des zones jusqu’ici peu visibles sur la carte des séries émergent, comme les Balkans, l’Afrique du Sud ou l’Europe de l’Est.

Un foisonneme­nt américain

Dans ce contexte de maelström créatif et économique, quelle série raconte mieux les années 2010 que La Casa de

Papel? Toutefois, la décennie qui va s’achever a proposé un grand nombre de puissantes histoires. Aux Etats-Unis, comment ne pas citer Game of Thrones, le rouleau compresseu­r global, série proclamée la plus vue de son époque – et qui émane de la vieille TV, la chaîne câblée HBO? Le même diffuseur a risqué la série d’auteur crépuscula­ire avec True

Detective, et est en train de revivifier les déchirures familiales dans Succession.

Passé sa surfaite House of Cards, Netflix a vraiment imposé son logo avec Narcos. Nouvel acteur aussi, le site Hulu a misé, avec succès, sur l’adaptation de The

Handmaid’s Tale de Margaret Atwood. Désormais, aux Etats-Unis, il se produit près de 500 saisons de séries TV par an, nouvelles ou renouvelée­s.

L’élément majeur de cette décennie réside dans le fait que, même si l’appareil de production américain domine toujours une bonne part de l’imaginaire mondial grâce à son omniprésen­ce sur les canaux – et à la large compréhens­ion de l’anglais –, il n’est plus dominant. Il y a quelques semaines, au festival Canneserie­s, Chris Brancato, co-créateur de

Narcos, lançait: «Dans le système hollywoodi­en, chez les auteurs, et même s’il était clair qu’il y avait des talents ailleurs, il y a longtemps eu une forme d’arrogance. Les séries internatio­nales sont un moyen, pour moi, de sortir de mon provincial­isme américain.»

Il y a dix ans, il eût été impensable d’imaginer que des acteurs américains de l’audiovisue­l s’affrontera­ient sur des terrains étrangers avec des production­s locales. C’est exactement ce qui se produit ces temps en Inde, champ de bataille entre Netflix et Amazon, à coups de séries fabriquées à l’échelle nationale.

En Europe, après un coup de mou au début de la décennie, la déferlante nordique reprend, pour le meilleur – Bron/

Broen(The Bridge) ou Bedrag(Follow the

Money) – ou le pire (Modus). Mieux, les recettes scandinave­s sont copiées par les Anglais (dans la médiocre Broadchurc­h, par exemple), pourtant les plus grands créateurs de séries d’Europe.

C’est d’ailleurs la Grande-Bretagne qui fournit la série la plus pertinente qui soit pour mettre en cause l’évolution technologi­que de nos sociétés, avec Black Mirror.

La France sortie du marasme

La France a fini de s’ébrouer. Grâce à des initiative­s individuel­les soutenues par quelques acteurs du marché dont Canal+, la création nationale a ses joyaux, d’Engrenages au Bureau des

légendes en passant par Baron noir. Arte prend aussi part à la montée en puissance du secteur, au travers de participat­ions dans des séries européenne­s comme la norvégienn­e Occupied. Elle a aussi ses pétillante­s impulsions comme la délirante P’tit Quinquin, qui revient bientôt.

Longtemps cantonnée aux sitcoms locales, de la même façon qu’en Suisse romande, la Belgique fait irruption en quelques mois sur la scène mondiale avec La trêve ainsi qu’Ennemi public – et la marmite belge bouillonne.

Israël, la prochaine déferlante

De son côté, primée en rafale dans les festivals, la création israélienn­e, jusqu’ici surtout connue pour ses adaptation­s à l’étranger (In Treatment, Homeland…), va très bientôt surgir en tant que telle sur les sites de streaming et dans les grilles de programmes.

A un autre bout de la planète, la Corée du Sud, très attachée à l’exportatio­n de ses produits culturels, met désormais en avant les séries. Tout est prêt pour l’explosion d’une série coréenne de la même façon que La Casa de Papel.

Il ne s’est jamais produit autant de séries qu’en 2018. Le secteur affiche une demande systématiq­uement supérieure à l’offre, sans que les entreprise­s en souffrent: il faut produire davantage, voilà tout. La traque aux nouveaux talents, aux livres à adapter, aux concepts à acheter bat son plein. Nous le savons déjà, nous consommero­ns encore plus de séries dans les années 2020.n

 ?? (NETFLIX) ?? «La Casa de Papel», série phénomène d’une décennie.
(NETFLIX) «La Casa de Papel», série phénomène d’une décennie.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland