Martha Stettler remise en lumière
Le Kunstmuseum de Berne met en exergue le travail de la peintre suisse décédée en 1945 (ici: «Intimité», 1912, huile sur toile). Son impressionnisme tardif et son engagement féministe forcent l’admiration.
Cela faisait trente-cinq ans que l’oeuvre de la peintre Martha Stettler n’avait plus été exposée. Le Kunstmuseum de Berne, un bâtiment construit par son père, replace au premier plan cette artiste suisse rattachée à l’impressionnisme tardif C’est une longue histoire qui lie Martha Stettler (1870-1945) au Kunstmuseum de Berne. Alors, quel lieu plus approprié que cette institution pour lui dédier une rétrospective? Installée dans le vieux bâtiment édifié par Eugen Stettler, le père de l’artiste, l’exposition Martha Stettler – Une impressionniste entre Berne et Paris retrace le parcours de cette peintre oubliée de tous. Pourtant, la Bernoise avait su marquer son époque, tant par son oeuvre que par son action militante. «Elle a contribué à la reconnaissance des femmes peintres, a reçu de nombreux prix, dirigé l’Académie de la Grande Chaumière à Paris. Mais elle demeure largement inconnue du grand public, regrette la co-commissaire Therese Bhattacharya-Stettler. Cette rétrospective permettra, je l’espère, de révéler son talent au grand jour.» Construit thématiquement, l’accrochage rassemble près de 70 oeuvres allant de ses premiers travaux d’étudiante à ses derniers tableaux en tant que peintre accomplie.
Une artiste engagée
En haut des marches du Kunstmuseum, Martha Stettler nous accueille aux côtés d’Alice Dannenberg, sa «compagne de vie»; elles sont photographiées ensemble à l’Académie Julian, à Paris. Les deux amies se sont rencontrées durant leurs études en 1887 à l’école d’art de Berne, située, à l’époque, au sous-sol du musée. Aujourd’hui, le public y découvre les premiers travaux de la Bernoise. «Ces tableaux témoignent de l’éducation qu’elle a reçue, commente Therese Bhattacharya-Stettler, dont l’artiste est la grandtante. Sa signature est encore très précise et, contrairement au style qui la caractérisera, ses peintures sont très sombres, s’inscrivant ainsi dans la tradition hollandaise.» Mais l’artiste prouve déjà son intérêt pour les scènes d’intérieur avec de jeunes enfants, un motif récurrent de son oeuvre.
En 1892, Martha Stettler et Alice Dannenberg quittent Berne pour Genève, où elles ne resteront qu’un an. «Les femmes avaient alors un accès très restreint à l’art et à la peinture. Elles sont donc parties à Paris afin de poursuivre leur carrière.» L’impressionniste y suit un enseignement en dessin, puis organise ses premières expositions. Mais sa carrière prend un véritable tournant grâce à Lucien Simon, peintre français qui devient très vite son mentor. «Il a été un très bon maître pour Martha. Grâce à lui, elle s’est libérée de son académisme, passant de l’ombre à la lumière», remarque Therese Bhattacharya-Stettler.
Dès lors, l’artiste alémanique ne cessera de jouer avec les couleurs, l’ombre et les reflets. Elle adopte un style qui la caractérisera durant le restant de sa carrière. Des visages fugaces, parfois hors cadre pour les nourrices, comme dans La toupie, où l’action se focalise sur les enfants et leur jouet. «Elle était assez connue à son époque et exposait notamment aux côtés de peintres suisses. Mais dans ces temps-là, Ferdinand Hodler criait qu’il ne voulait pas de femmes dans ce milieu!» A contre-pied de cette déclaration, l’impressionniste se constituera un cercle privé, fondera en Suisse une association de peintres et encouragera les femmes à exposer leurs oeuvres avec celles des hommes. «Elle a marqué son temps. C’est en quelque sorte une pionnière de l’art féminin.» Et pour cause: en 1904, elle prend la tête, avec Alice Dannenberg, de l’Académie de la Grande Chaumière, une école d’art privée parisienne, et devient, en 1920, la première femme à participer à la Biennale de Venise.
Là où tout a commencé
«C’est malheureusement le destin de beaucoup de femmes peintres que d’être oubliées, rappelle Therese Bhattacharya-Stettler. En plus, Martha était plutôt réservée et mettait rarement ses oeuvres en avant. Malgré une médaille de première classe à l’Exposition universelle de Bruxelles avec La balançoire, la Bernoise est oubliée, ses oeuvres dispersées dans le monde.»
Après maintes recherches, la co-commissaire Corinne Sotzek est parvenue à rassembler une sélection de tableaux appartenant à des musées ou issus de collections privées et représentatifs de l’oeuvre de Martha Stettler. Comme une sorte d’hommage, l’impressionniste est désormais de retour au Kunstmuseum, dans ce lieu qui l’a vue se construire et qui, peut-être, lui apportera la reconnaissance dont elle n’a jamais bénéficié.
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