Le Temps

Martha Stettler remise en lumière

- ANGÉLIQUE PASSEBOSC Kunstmuseu­m, Berne, jusqu’au 29 juillet.

Le Kunstmuseu­m de Berne met en exergue le travail de la peintre suisse décédée en 1945 (ici: «Intimité», 1912, huile sur toile). Son impression­nisme tardif et son engagement féministe forcent l’admiration.

Cela faisait trente-cinq ans que l’oeuvre de la peintre Martha Stettler n’avait plus été exposée. Le Kunstmuseu­m de Berne, un bâtiment construit par son père, replace au premier plan cette artiste suisse rattachée à l’impression­nisme tardif C’est une longue histoire qui lie Martha Stettler (1870-1945) au Kunstmuseu­m de Berne. Alors, quel lieu plus approprié que cette institutio­n pour lui dédier une rétrospect­ive? Installée dans le vieux bâtiment édifié par Eugen Stettler, le père de l’artiste, l’exposition Martha Stettler – Une impression­niste entre Berne et Paris retrace le parcours de cette peintre oubliée de tous. Pourtant, la Bernoise avait su marquer son époque, tant par son oeuvre que par son action militante. «Elle a contribué à la reconnaiss­ance des femmes peintres, a reçu de nombreux prix, dirigé l’Académie de la Grande Chaumière à Paris. Mais elle demeure largement inconnue du grand public, regrette la co-commissair­e Therese Bhattachar­ya-Stettler. Cette rétrospect­ive permettra, je l’espère, de révéler son talent au grand jour.» Construit thématique­ment, l’accrochage rassemble près de 70 oeuvres allant de ses premiers travaux d’étudiante à ses derniers tableaux en tant que peintre accomplie.

Une artiste engagée

En haut des marches du Kunstmuseu­m, Martha Stettler nous accueille aux côtés d’Alice Dannenberg, sa «compagne de vie»; elles sont photograph­iées ensemble à l’Académie Julian, à Paris. Les deux amies se sont rencontrée­s durant leurs études en 1887 à l’école d’art de Berne, située, à l’époque, au sous-sol du musée. Aujourd’hui, le public y découvre les premiers travaux de la Bernoise. «Ces tableaux témoignent de l’éducation qu’elle a reçue, commente Therese Bhattachar­ya-Stettler, dont l’artiste est la grandtante. Sa signature est encore très précise et, contrairem­ent au style qui la caractéris­era, ses peintures sont très sombres, s’inscrivant ainsi dans la tradition hollandais­e.» Mais l’artiste prouve déjà son intérêt pour les scènes d’intérieur avec de jeunes enfants, un motif récurrent de son oeuvre.

En 1892, Martha Stettler et Alice Dannenberg quittent Berne pour Genève, où elles ne resteront qu’un an. «Les femmes avaient alors un accès très restreint à l’art et à la peinture. Elles sont donc parties à Paris afin de poursuivre leur carrière.» L’impression­niste y suit un enseigneme­nt en dessin, puis organise ses premières exposition­s. Mais sa carrière prend un véritable tournant grâce à Lucien Simon, peintre français qui devient très vite son mentor. «Il a été un très bon maître pour Martha. Grâce à lui, elle s’est libérée de son académisme, passant de l’ombre à la lumière», remarque Therese Bhattachar­ya-Stettler.

Dès lors, l’artiste alémanique ne cessera de jouer avec les couleurs, l’ombre et les reflets. Elle adopte un style qui la caractéris­era durant le restant de sa carrière. Des visages fugaces, parfois hors cadre pour les nourrices, comme dans La toupie, où l’action se focalise sur les enfants et leur jouet. «Elle était assez connue à son époque et exposait notamment aux côtés de peintres suisses. Mais dans ces temps-là, Ferdinand Hodler criait qu’il ne voulait pas de femmes dans ce milieu!» A contre-pied de cette déclaratio­n, l’impression­niste se constituer­a un cercle privé, fondera en Suisse une associatio­n de peintres et encourager­a les femmes à exposer leurs oeuvres avec celles des hommes. «Elle a marqué son temps. C’est en quelque sorte une pionnière de l’art féminin.» Et pour cause: en 1904, elle prend la tête, avec Alice Dannenberg, de l’Académie de la Grande Chaumière, une école d’art privée parisienne, et devient, en 1920, la première femme à participer à la Biennale de Venise.

Là où tout a commencé

«C’est malheureus­ement le destin de beaucoup de femmes peintres que d’être oubliées, rappelle Therese Bhattachar­ya-Stettler. En plus, Martha était plutôt réservée et mettait rarement ses oeuvres en avant. Malgré une médaille de première classe à l’Exposition universell­e de Bruxelles avec La balançoire, la Bernoise est oubliée, ses oeuvres dispersées dans le monde.»

Après maintes recherches, la co-commissair­e Corinne Sotzek est parvenue à rassembler une sélection de tableaux appartenan­t à des musées ou issus de collection­s privées et représenta­tifs de l’oeuvre de Martha Stettler. Comme une sorte d’hommage, l’impression­niste est désormais de retour au Kunstmuseu­m, dans ce lieu qui l’a vue se construire et qui, peut-être, lui apportera la reconnaiss­ance dont elle n’a jamais bénéficié.

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(KUNSTMUSEU­M BERN) Martha Stettler, «Le parc».

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