Cours de français les pieds dans l’eau
Durant l’été, la ville de Lausanne propose aux migrants des cours de français gratuits et en plein air. Une expérience linguistique et sociale qui a poussé d’autres villes romandes à suivre cet exemple
Les jardins du Théâtre de Vidy, un cadre idyllique. Abrités sous des arbres, les quatre formateurs installent leur salle de classe éphémère. Les tables, bancs et tableaux sont prêts. Il est bientôt 18h00, les intéressés arrivent peu à peu. Ils seront ce soir-là plus de 90, pour suivre les cours de français destinés aux étrangers que propose le Bureau lausannois pour les immigrés.
Gratuits, sans inscription et ouverts à tous, ils permettent aux migrants, aux expatriés et aux étudiants étrangers, indépendamment de leur situation légale, de faire leurs premiers pas dans l’apprentissage du français.
Un thème par semaine
«Cela va des travailleurs migrants, principalement en provenance d’Amérique latine, aux expatriés en costume qui travaillent chez Nestlé et qui viennent s’asseoir avec nous, en passant par les Suisses alémaniques qui veulent découvrir la langue française», explique Olivier Casta, coordinateur des formateurs depuis maintenant cinq ans.
Les apprenants sont divisés en quatre groupes, trois pour les «grands débutants», un pour les avancés. «Ce dernier groupe n’était pas prévu au départ, mais je trouvais navrant de pas pouvoir répondre à leurs attentes», précise Olivier Casta.
Différentes approches
Chaque semaine est consacrée à un thème: rencontres et présentations, famille et loisirs, corps et santé, le temps et l’espace, formation et emploi. «Nous avons fait le choix d’engager des formateurs professionnels expérimentés, déclare Oscar Tosato, conseiller municipal chargé de la Cohésion sociale. L’objectif est que les apprenants repartent avec des outils concrets pour leur vie quotidienne, qu’ils réussissent à échanger avec des inconnus, à prendre un rendez-vous médical ou bien à trouver une formation ou un travail.»
Sur la plage de Vidy, chaque formateur a son style. L’ambiance du premier groupe est très scolaire: assis sur des bancs, les élèves prennent des notes sur un cahier. Ils font connaissance en tirant un bout de papier. «Fumez-vous? Non, je ne fume pas.» Ils s’entraident, se traduisent les questions, rigolent. Un peu plus loin, c’est plus détendu, cela ressemble à un cours de théâtre. Tout le monde est debout et jette une balle vers la personne de son choix avant de lui poser une question. Le troisième groupe travaille sur les chiffres et le vocabulaire.
Olivier Casta, qui a appris à jouer de la batterie avec des capsules vidéo, est un convaincu de l’autoformation. «La langue est le socle de tout, la clé de l’intégration, de l’échange, de l’accès au travail ou à une formation. On leur donne une impulsion, soutient-il. Pour la suite, de nombreux outils sont à leur disposition, autour d’eux et sur internet.»
Des problèmes quotidiens
A la fin des cours, certains restent, échangent leurs numéros. Parmi eux, Saïda, 31 ans, mère de trois enfants et arrivée en Suisse il y a 4 ans, promet de venir à tous les cours cet été. La barrière de la langue lui pose des problèmes quotidiens: «Je ne comprends pas les documents de l’école, je ne peux pas aider mes enfants à faire leurs devoirs et je n’arrivais même pas à lancer la machine à laver, car tout est écrit en français!» Une autre mère, Xiu, 27 ans, qui a quitté la Chine il y a 6 mois, est venue au cours avec son fils de 4 ans. Elle travaille, mais «dans mon entreprise, tout le monde parle en anglais. Ces cours sont très compliqués pour moi. Mon fils commence déjà à me faire la traduction. Je veux le rattraper.»
Une volonté d’avancer que l’on retrouve chez de nombreux participants. Luigi, 28 ans, arrivé il y a 7 mois du Venezuela, travaille dans la construction. «Je serai là pour ces deux mois de cours, ils sont indispensables dans toutes mes démarches», dit-il. Deux Equatoriennes, Nicole, 23 ans, et Andréa, 33 ans, accompagnées de leur amie bolivienne Claudia, prévoient également de suivre l’ensemble des cours: «Une amie nous a conseillé de venir. Elle a appris le français l’été dernier, grâce aux cours d’été, et maintenant elle dirige une association d’aide aux Equatoriens en Suisse.»
Lausanne a donné l’exemple
Cela fait neuf étés que la ville de Lausanne offre ces cours. «Nous avions constaté que l’offre de cours de français se réduisait durant la période des vacances, contrairement à la demande, qui restait stable», se souvient Oscar Tosato. Ces cours semblent être efficaces. Même si aucun suivi sur le long terme n’est effectué pour savoir si leurs participants ont réussi à trouver un travail ou à intégrer une formation grâce à eux.
«Les cours de Vidy-Plage s’adressent principalement aux Lausannois, mais il est souvent arrivé que des personnes viennent de loin pour y participer, relève encore le municipal socialiste lausannois. C’est donc une très bonne nouvelle si cette démarche se multiplie.» En effet, cette méthode d’apprentissage a fait tache d’huile. Des cours en plein air sont dispensés à Genève depuis trois ans, à Fribourg depuis deux ans, à Sion depuis un an. Ils ont lieu pour la première fois cet été à Monthey, à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds.
Organisés par la ville de Lausanne, les cours de français pour migrants attirent un large public. «La langue est le socle de tout, la clé de l’intégration, de l’échange, de l’accès au travail ou à une formation»
OLIVIER CASTA, COORDINATEUR DES FORMATEURS
Dans toutes ces autres villes, les cours sont mis en place par l’organisation d’entraide OSEO. Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds proposent une solution de garde pour les enfants gérée par Caritas. «Cela favorise la participation des familles, et surtout celle des femmes, à nos cours. De plus, l’encadrement des enfants est assuré par des femmes migrantes. Elles sont engagées et cela favorise leur insertion», précise Claude Brosy, directeur de l’OSEO Neuchâtel. Un choix «pertinent» pour Oscar Tosato, qui envisage de le reproduire à son tour.
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