Airbus et Boeing se tournent vers les services pour doper leurs marges
Le champ de bataille entre les deux constructeurs se déplace des commandes d’avions aux services: opérations en vol, marketing, ingénierie et maintenance des appareils
C’est le nouveau pactole qui fait saliver Airbus et Boeing. A l’occasion du Salon de l’aéronautique de Farnborough, dans la grande banlieue de Londres, les deux avionneurs rivaux ont annoncé à tour de rôle, le mardi 17 juillet, avoir découvert un nouveau filon pour gonfler leurs bénéfices. Après les commandes d’avions, leur prochain champ de bataille sera les services, cette activité additionnelle qui englobe les opérations en vol, le marketing, l’ingénierie et la maintenance des avions.
A en croire Airbus et Boeing, elle promet d’être un véritable eldorado. Selon les calculs de l’avionneur européen, ce nouveau marché devrait représenter, lors des vingt prochaines années, 4600 milliards de dollars (le même chiffre en francs suisses). Boeing entrevoit une manne encore plus importante. Selon lui, le chiffre d’affaires des services pourrait s’établir d’ici à 2037 à 8800 milliards de francs. Beaucoup plus que le marché des avions neufs qui, sur la même période, devrait culminer à 6300 milliards de francs.
Philippe Mhun, directeur général de l’activité services d’Airbus, explique la différence entre les chiffrages des deux avionneurs par la prise en compte par Boeing des «opérations de services aux aéroports et du fret». Il n’empêche, l’ampleur des sommes en jeu a de quoi aiguiser les appétits des deux géants de l’aéronautique.
Randy Tinseth, vice-président chargée du marketing de Boeing, prévoit déjà de réaliser un chiffre d’affaires dans les services de 50 milliards de francs d’ici dix ans. Airbus a des ambitions un peu plus modestes. L’avionneur européen veut «multiplier par trois le chiffre d’affaires de son activité services pour viser 10 milliards de francs au cours de la prochaine décennie».
Boeing a créé, fin 2016, une nouvelle division baptisée Boeing Global Services (BGS), qui réalise déjà un chiffre d’affaires de 17 milliards de francs. Une lutte acharnée entre les deux rivaux est engagée pour rafler une part significative de ce futur pactole. A en croire Philippe Mhun, l’avionneur européen serait le plus dynamique.
Retard des avionneurs sur les équipementiers
La soudaine fringale d’Airbus comme de Boeing pour les services est à la mesure du retard pris par les deux avionneurs sur ce secteur. «Nos fournisseurs pèsent environ deux fois notre taille», est obligé de reconnaître Philippe Mhun. De fait, les Safran, United Technologies Corporation (UTC) et autre General Electric (GE) ne les ont pas attendus. Ces dernières années, ils ont entamé un mouvement de concentration pour faire le poids face au duopole constitué par Airbus et Boeing. Dernier exemple en date, Safran a avalé le fabricant de sièges Zodiac. A l’inverse, Boeing et «Airbus étaient d’abord concentrés sur l’augmentation de leurs cadences de production», indique Philippe Mhun. Et d’ajouter: «Les services n’étaient pas notre priorité.»
En revanche, ils sont depuis longtemps au coeur de l’activité de Safran. «Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que c’est devenu une source de revenus exceptionnelle. C’est là où se trouve la majorité des revenus des équipementiers», précise Philippe Petitcolin, directeur général du motoriste. Là, surtout, où les marges sont les plus fortes.
Un moteur rapporte plus à Safran grâce à la maintenance pendant son exploitation que lors de sa vente. Le rapport serait de deux tiers/un tiers. Une manne comme tombée du ciel quand on sait que le Leap, le dernier moteur produit en partenariat par Safran et GE, est commercialisé, prix catalogue, 14 millions d’euros. L’effet d’aubaine est encore plus important en ce qui concerne le CFM 56, qui équipe la majorité des avions moyen-courriers. Entré en service en 1982, le moteur, le plus vendu du monde, «est depuis longtemps amorti», admet le patron de Safran. Des marges bien supérieures à celles réalisée par l’assemblage des avions, qui reste l’activité principale d’Airbus et de Boeing.
Pour combler leur retard sur ces fournisseurs, les deux avionneurs ont entrepris de reprendre en interne une partie des activités qu’ils avaient auparavant confiées à leurs équipementiers. Boeing a ainsi repris la main sur l’avionique ou les sièges d’avion. De son côté, Airbus a l’intention de reprendre à son compte la production des nacelles des moteurs de son best-seller, l’A320. Des pièces aujourd’hui fabriquées notamment par l’américain UTC.
Mais ce retour de balancier a ses limites, pointe Philippe Petitcolin. «Il faudra des vases communicants. Il y a la loi du marché», fait-il savoir. «Comme Airbus et Boeing n’ont pas de budgets sans limites, il leur faudra faire des choix. Ils ne pourront pas tout faire», se rassure le patron de Safran.