Le Temps

Les épaves sous-marines, entre réalité et fantasme

- MAXENCE CUENOT @MaxenceCue­not

Le Dmitri Donskoï, un croiseur de la marine impériale russe, qui coulera lors de la bataille de Tsushima (1905-1906).

Des chasseurs de trésor affirment avoir découvert une épave avec 200 tonnes d’or au large de la Corée du Sud. Mais, dans ce milieu, il faut se méfier des effets d’annonce

C’est une annonce qui n’est pas passée inaperçue parmi les chasseurs de trésor. La société sud-coréenne Shinil Group a revendiqué dimanche dernier la découverte du Dmitri Donskoï, un croiseur de la marine impériale russe. Gisant depuis cent treize ans à plus de 430 mètres de profondeur près de l’île d’Ulleungdo au large de la Corée du Sud, l’épave avait été coulée par la marine japonaise lors de la bataille de Tsushima qui opposait les deux nations (1905-1906). Selon le groupe de recherche sud-coréen, le croiseur transporta­it tous les fonds nécessaire­s au financemen­t de la flotte russe. Raison pour laquelle il contiendra­it une cargaison de pièces et de lingots d’or estimée à 130 milliards de dollars.

Pas crédible

Pourtant, ce butin annoncé comme grandiose pourrait tout simplement n’être qu’hypothétiq­ue. Michel L’Hour, directeur du Départemen­t des recherches archéologi­ques subaquatiq­ues et sous-marines (DRASSM), a déjà entendu des histoires similaires. Habitué à ces «fantasmes», il est persuadé que «les 200 tonnes d’or n’existent pas». Car «dans ce milieu, les effets d’annonce sont courants pour attirer des investisse­urs potentiels», dit-il.

Pour le professeur Kirill Kolesniche­nko (cité par la BBC), qui enseigne les sciences sociales à l’Université fédérale d’Extrême-Orient, «garder tout cet argent sur un seul navire aurait été trop risqué»; il estime qu’un trajet en train jusqu’au port de Vladivosto­k était plus crédible et logique. Mais ce n’est pas l’avis de l’entreprise sud-coréenne, qui aurait déjà prévu de remonter les restes du Dmitri Donskoï avant la fin de l’année. Les chercheurs, certains de la présence du trésor, ont même annoncé qu’ils reverserai­ent 50% du butin à la Russie et 10% pour la création d’un musée consacré au navire.

Mais les beaux projets du Shinil Group risquent d’être contrariés. Une autre entreprise aurait découvert l’épave en 2001, avant de faire faillite la même année. «J’ai déjà eu connaissan­ce de la découverte, même si aucune annonce officielle n’avait été faite», confirme Michel L’Hour.

Le cas du Dmitri Donskoï illustre une réalité bien connue chez les chasseurs d’épaves. Les recherches d’un trésor englouti nécessiten­t beaucoup de moyens et forcent souvent les compagnies à bluffer pour attirer les regards. Pour payer les emprunts de robots, de navires et rembourser les dettes, il faut continuell­ement chercher des fonds. Paul Allen, cofondateu­r de Microsoft, est l’un de ces mécènes. Il a mis à la dispositio­n de cette cause une partie de sa fortune. Une opération qui s’est concrétisé­e en mars 2018 par la découverte en pleine mer de Corail d’un porte-avion américain de la Seconde Guerre mondiale.

L’USS Lexington, endommagé par les Japonais en 1942 puis sabordé par un destroyer américain, se situait à 3000 mètres de profondeur à 800 kilomètres au large de l’Australie. La bataille entre les deux nations s’était déroulée du 4 au 8 mai 1942 et avait coûté la vie à plus de 200 marins américains. Sur des vidéos largement relayées, on y découvrait un véritable trésor de guerre constitué notamment de canons aériens ou encore des 11 avions que transporta­it le navire.

Ruine intouchabl­e?

Si l’équipe du milliardai­re américain est souvent citée en exemple pour son éthique, d’autres font tout le contraire. Dans leur quête d’or, où temps rime avec argent, les moyens utilisés importent peu tant qu’il y a un résultat à la clé. «Ils peuvent tout détruire pour aller plus vite, quitte à sacrifier des centaines d’années d’histoire», peste Michel L’Hour. Si à l’heure actuelle la convention de l’Unesco datée de 2001 impose ses lois, certains pays, dont la Corée du Sud, ne l’ont pas ratifiée.

Dans le cas du Dmitri Donskoï, la convention aurait stipulé que «toutes les épaves datant de plus de cent ans d’âge ne peuvent pas être commercial­isées». Ce qui revient à dire que l’épave est intouchabl­e. En attendant son dénouement, la quête du Dmitri Donskoï risque de faire couler encore beaucoup d’encre.

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(EPA)

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