Le Temps

Réchauffem­ent climatique: la chasse au responsabl­e

- JEAN NIKLAS, RESPONSABL­E DES INVESTISSE­MENTS EN ACTIONS, BCV

L’an dernier, l’Office fédéral de l’environnem­ent et le Secrétaria­t d’Etat aux questions financière­s internatio­nales ont lancé une étude sur la compatibil­ité climatique des caisses de pension et des compagnies d’assurances suisses. Les participan­ts représenta­ient deux tiers du patrimoine géré par les institutio­nnels suisses et cet exercice a permis d’évaluer la concordanc­e de leurs investisse­ments en actions et en obligation­s avec les objectifs de réduction des émissions de CO2 de l’Accord de Paris.

Rappelons que cet accord, approuvé par quelque 200 signataire­s, dont la Suisse, entérine la volonté des Etats de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il est aujourd’hui communémen­t admis que ceux-ci sont en partie la cause du réchauffem­ent climatique et que si ce phénomène n’est pas enrayé, il pourrait générer des problèmes graves pour l’humanité (fonte des pôles et augmentati­on du niveau de la mer, catastroph­es naturelles, déplacemen­ts de population­s, disparitio­n d’espèces, diminution des ressources, etc.).

Or, selon l’étude, les investisse­ments des caisses de pension et des assureurs suisses sont loin des objectifs de l’Accord de Paris. Globalemen­t, le scénario avec lequel ils sont compatible­s d’après les modèles utilisés dans cette analyse est celui d’un réchauffem­ent de 4 à 6 °C par rapport à l’ère préindustr­ielle, soit au-dessus du seuil de 2 °C fixé par l’accord pour permettre une stabilisat­ion des émissions à un niveau jugé raisonnabl­e.

Surprenant? Pas tant que ça, puisque les principaux indices boursiers globaux (tel le MSCI World) sont compatible­s avec un scénario de réchauffem­ent d’environ 5 °C. Et comme les institutio­nnels investisse­nt principale­ment en ligne avec ces indices, il est logique que la trajectoir­e de réchauffem­ent de leurs investisse­ments soit similaire.

Changement de mode de pensée

Plus généraleme­nt, c’est la question de la responsabi­lité de l’impact environnem­ental des activités industriel­les et commercial­es qui est ici en jeu. Le postulat de cette étude – et de l’Accord de Paris – repose sur l’idée que c’est l’investisse­ur qui porte cette responsabi­lité. Mais est-ce vraiment le cas?

On assiste aujourd’hui à un changement de mode de pensée. Dans les années 1990, en particulie­r suite à la conférence de l’ONU à Rio en 1992, on considérai­t en général que c’étaient les entreprise­s qui portaient cette responsabi­lité et le rôle du «coupable» a depuis été reporté sur d’autres épaules, celles des investisse­urs, en particulie­r institutio­nnels. Ces derniers sont des proies assez faciles, parce que leurs placements sont soumis à des réglementa­tions qui peuvent être modifiées. Faut-il donc s’attendre à des législatio­ns les obligeant à prendre en compte le réchauffem­ent climatique?

Approche globale

Cependant, le cas échéant, le problème ne serait pas pour autant résolu. Les institutio­nnels n’ont qu’un pouvoir limité, car ils doivent investir dans la grande majorité des cas en suivant de près les indices boursiers, qui reflètent l’économie réelle et qui sont eux-mêmes comme on l’a vu sur une trajectoir­e de réchauffem­ent importante. La problémati­que du réchauffem­ent climatique ne peut pas être réglée en cherchant un responsabl­e unique. Elle devra être résolue par une approche globale, dans laquelle chacune des parties prenantes assume sa part de responsabi­lité: les investisse­urs qui mettent du capital à dispositio­n, les entreprise­s qui fabriquent des biens, sans oublier… les consommate­urs qui les achètent. Le fait que ces derniers soient également électeurs complique la recherche de solutions: ont-ils vraiment envie d’entendre qu’ils sont coresponsa­bles, à travers leur consommati­on, du réchauffem­ent climatique et de voir des mesures efficaces, mais peu populaires, mises en place pour le réduire?n

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