Le Temps

Les sacrifices ont porté leurs fruits

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Le Douro qui traverse la ville avant de se jeter dans l’Atlantique, ses ponts imposants et son quartier médiéval au bord du fleuve; le centre-ville historique, ses musées et ses rues pavées; ses églises aux décoration­s baroques somptueuse­s, ses rues marchandes et ses cafés, ses plages, sa gastronomi­e et son célèbre vin.

Tout y est pour faire de Porto l’une des grandes destinatio­ns européenne­s en cette période estivale. «Nous vivons les meilleures années du tourisme, se félicite Bruno Coutinho, économiste et directeur d’un hôtel. Les chambres sont toutes réservées jusqu’à cet automne. En fait, nous n’arrivons plus à satisfaire la demande croissante de logements.» Résultat, des centaines d’appartemen­ts sont transformé­es pour accueillir des visiteurs. Autant dire que le tourisme constitue aujourd’hui, avec l’immobilier et le textile, l’un des moteurs qui tirent le Portugal de la crise dans laquelle il était plongé depuis 2007-2008.

L’immobilier flambe

Bruno Miranda s’en souvient. Il travaillai­t déjà dans le tourisme en 2008. «L’Europe était en récession et les touristes se faisaient rares, raconte-t-il. J’avais perdu mon emploi suite à une restructur­ation.» Grâce à ses connaissan­ces, il s’était alors fait engager dans la constructi­on. Une parenthèse qui avait duré deux ans.

«Le dynamisme retrouvé ne concerne pas seulement le tourisme, mais l’ensemble des activités, fait-il remarquer. Les Portugais gagnent plus d’argent, dépensent plus, s’achètent des logements, changent de voiture et investisse­nt leurs économies dans diverses activités.» Résultat, l’immobilier flambe à Porto, mais aussi à Lisbonne et dans les autres grandes villes. «Ma propre maison achetée en 2015 vaut aujourd’hui le double, avance Bruno. Si l’Etat ne maîtrise pas le boom de l’immobilier, il explosera.»

Les émigrants reviennent

Economiste de formation et enseignant­e dans une école secondaire à Lisbonne, Lucia-Maria s’apprête à partir en vacances deux semaines chez des parents en Suisse. La jeune femme s’offre ce cadeau pour la première fois depuis cinq ans. Lorsque la crise a frappé, les fonctionna­ires ont été appelés à faire de grands sacrifices: réduction de salaires et hausse d’impôts. «La roue a tourné et nous pouvons dépenser un peu plus», affirme l’enseignant­e.

Pour Lucia-Maria, la question d’émigrer ne s’est jamais posée. «En revanche, de nombreux amis qui étaient désespérés sont partis», dit-elle. La situation est maintenant différente. Le chômage a forcé des jeunes à poursuivre des études et acquérir de nouvelles connaissan­ces. A présent, ces derniers trouvent du travail plutôt bien rémunéré au pays. «En réalité, nous constatons que des centaines de nos compatriot­es, attirés par de nouvelles perspectiv­es au pays, reviennent», se félicite Lucia-Maria.

A ce propos, la jeune femme fait remarquer que de nombreuses multinatio­nales se sont installées dans le pays ces dernières années. «Elles sont attirées notamment par des salaires plus compétitif­s par rapport à d’autres villes européenne­s, mais surtout par le réservoir de jeunes talents. JP Morgan ou Deloitte savent qu’elles peuvent recruter dix personnes qualifiées à Lisbonne ou à Porto pour le prix d’une à Londres ou à Berlin», explique-t-elle.

L’aide de Bruxelles et du FMI

Que de chemin parcouru par le Portugal, qui est sorti de la crise par la grande porte. Il y a dix ans, le pays se trouvait au bord du gouffre. Pour accéder aux marchés financiers, il devait payer un taux d’intérêt d’environ 4% pour des emprunts à 10 ans. Ce taux n’a pas cessé de grimper au fil des mois pour atteindre un sommet de 17%, à la fin de 2011. En mai de la même année, Lisbonne avait négocié un prêt de 78 milliards d’euros de l’Union européenne et du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) en contrepart­ie des réformes: réduction du nombre de fonctionna­ires, baisse de salaires et pensions, hausses d’impôts, privatisat­ions…

Le sacrifice a porté ses fruits. Le Portugal était entré en récession en 2008 et en est sorti en 2015, enregistra­nt un taux de croissance de 1,8% du produit intérieur brut (PIB) en 2015. Cette année, il devrait atteindre 2,2%. Le taux de chômage, qui avait atteint son sommet en 2013-2014 à 15,3%, doit baisser à 8,3% en 2018.

Le poids de la dette

Un point noir, toutefois: la dette publique a gonflé de 97,8% du PIB en 2008-2012 à 130,1 en 2016. La décrue a commencé en 2017, mais l’an prochain, il sera encore à 121,1%. Soit le double de la limite prescrite dans le Pacte de stabilité de la zone euro. L’endettemen­t privé est en forte hausse et près de 3 millions de Portugais sont dépendants de l’aide sociale.

Jose Salgado, directeur de la Millennium Banque privée à Genève et filiale du groupe Millennium Banco Comercial Portugues, troisième institutio­n financière du pays, estime que l’Etat doit poursuivre les investisse­ments dans l’éducation, la santé et l’immobilier, non seulement dans les grandes villes, mais aussi dans l’ensemble du pays. «L’Etat doit aussi réformer et insuffler de la concurrenc­e dans certains secteurs, explique-t-il. Notamment dans l’énergie dont le coût au Portugal est le plus élevé d’Europe.»

Mais par-dessus tout, selon le banquier, l’économie portugaise, tout en maintenant sa trajectoir­e, doit se préparer à faire face à la fin du cycle actuel de croissance. «Heureuseme­nt, déclare Jose Salgado, hormis les partis populistes, il y a un consensus au sein de l’économie et de la politique autour d’une vision claire qui entend maintenir le cap des réformes.»

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