Le Temps

L’homme qui a réalisé la descente intégrale du K2 à skis

Au Pakistan, le Polonais de 30 ans a réussi la descente du K2 à skis, du sommet culminant à 8611 mètres au camp de base. Un exploit dont il rêvait depuis 2001 et auquel il avait dû renoncer l’an dernier pour ne pas se mettre en danger

- CAROLINE CHRISTINAZ @Caroline_tinaz

GoPro plantée sur le casque à l’effigie de son sponsor, il lève les bras, victorieux. Dans une main une paire de skis, dans l’autre des bâtons. Le visage marqué, il regarde l’objectif et sourit doucement. Andrzej Bargiel vient de réaliser le rêve que plus d’un alpiniste partageait. Ce dimanche 22 juillet, le Polonais de 30 ans est arrivé au camp de base du K2 après avoir dévalé ses pentes à skis depuis le sommet à 8611 mètres. Dans le milieu, c’est un exploit. A ses altitudes, autant l’air que les réflexes se font rares.

«La clé de ce projet est d’avoir encore la force de skier après l’ascension», annonçait l’himalayist­e avant de partir. D’ailleurs, il n’en était pas à son coup d’essai. L’an passé, au pied de celle que l’on surnomme notamment la «montagne sauvage», l’homme avait dû renoncer à la gravir. Chutes de neige, mauvaise visibilité et vent rendaient les conditions impossible­s à la réalisatio­n de son projet.

Cet été était tout autre. Les vidéos tournées par son frère à l’aide d’un drone montrent le skieur polonais en train de tracer des virages serrés sur des pentes enneigées et stables. Le soleil est radieux et la vue époustoufl­ante. Ces images ne laissent pas soupçonner que cette montagne, pyramide presque parfaite, est l’un des 8000 les plus redoutés des himalayist­es. Là-bas, les chutes de séracs menacent la voie normale, les vents sont incessants et certains passages s’avèrent très techniques.

La «montagne sans pitié»

Le K2 est la seconde plus haute montagne du monde. Mais contrairem­ent à l’Everest, dont le sommet a été foulé par plus de 5000 personnes, celui du K2 n’a toléré que quelque 400 alpinistes. Difficile, lorsqu’on parle de lui, de ne pas évoquer 1986, 1995 et 2008, ces années funestes durant lesquelles des membres d’expédition­s entières disparuren­t alors qu’ils poursuivai­ent tous le rêve de se tenir sur la pointe sommitale de cette cime pakistanai­se. Dès lors, le milieu alpin lui réserve un autre surnom: la «montagne sans pitié».

Ce week-end, elle s’est montrée sous un bon jour. Depuis plusieurs semaines dans la vallée du Karakorum, proche de la frontière chinoise, Andrzej Bargiel a passé son temps à s’acclimater et à scruter à l’aide d’une longue-vue et d’un drone les faces de cette légendaire pyramide. Son but: y dessiner une ligne de descente idéale.

L’idée des autres

L’idée de skier le K2 avait effleuré les esprits imaginatif­s de plusieurs alpinistes avant qu’elle ne vienne heurter celui du jeune Polonais. En 2001, un 22 juillet aussi, l’Italien Hans Kammerland­er avait déjà chaussé ses skis au sommet du K2, sous les yeux de son compagnon, Jean-Christophe Lafaille. Mais la chute d’une grimpeuse coréenne non loin de lui avait coupé les élans du skieur et éveillé ceux du sauveteur.

Plus tard, en 2009, l’Américain David Watson skia presque la totalité du K2, sans avoir atteint le sommet. En 2010, c’est au tour du Suédois Fredrik Ericsson d’y chausser des lattes. Ne s’étant pas contenté d’une première descente depuis 7800 mètres, il est décédé lors d’une seconde tentative quelques jours plus tard alors qu’il tentait d’atteindre le sommet. Le dernier skieur en date sur la montagne remonte à 2011: mais l’Allemand Luis Stitzinger était parti de 8050 mètres «seulement».

Pour marquer l’histoire d’une trace indélébile, Andrzej Bargiel savait donc à quoi s’en tenir: skier du sommet jusqu’au camp de base. Ce trentenair­e est expériment­é et, à son âge, il présente un palmarès déjà étoffé. Il a skié le Broad Peak (8047 mètres) en 2015, le Manaslu (8163 mètres) en 2014 et le Shishapang­ma (8027 mètres) en 2013. C’est un adepte de speed climbing, de la même fibre qu’un Ueli Steck, décédé l’an passé sur les pentes du Nuptse au Népal, ou qu’un Kilian Jornet qui a escaladé l’Everest l’automne dernier, au pas de course, et à deux reprises.

Le K2, seconde plus haute montagne du monde, n’a toléré que quelque 400 alpinistes sur son sommet

Une pause à 7200 mètres

Déjà monté une fois à 7800 mètres pour mieux visualiser les passages délicats, il était préparé lorsque, jeudi 19 juillet en fin d’après-midi, il a quitté le camp de base. C’est dans la nuit du 21 au 22 qu’il s’est élancé pour l’assaut final depuis le camp 4. Vers la fin de matinée, le Polonais chaussait ses skis à 8611 mètres et entamait une descente historique.

Selon Alan Arnette, blogueur spécialisé dans les ascensions himalayenn­es, Andrzej Bargiel a traversé quatre itinéraire­s de montée durant sa descente: l’éperon des Abruzzes, la voie Cesen, une variante de la voie de Messner et, enfin, la Kukuczka-Piotrowski. Un manque de visibilité l’a contraint à s’arrêter pendant une heure à 7200 mètres au camp 3. Et la clarté revenant, il a poursuivi sa route, virage après virage, pour atteindre le camp de base à 19h30, après quelque 3600 mètres de dénivelé négatif.

L’exploit réalisé par le Polonais s’inscrit dans une année record pour le K2. Ce week-end, grâce à une fenêtre météo favorable, 31 ascensionn­istes dont la Franco-Suisse Sophie Lavaud seraient parvenus au sommet, selon les autorités pakistanai­ses. Un chiffre suffisant pour que certains redoutent une commercial­isation de ce sommet à l’image de celle présente à l’Everest.

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(MAREK OGIEN) Andrzej Bargiel présente à son âge un palmarès déjà étoffé.

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