Le Temps

Le prix inouï de la guerre commercial­e

Les surtaxes imposées aux Etats-Unis et leurs mesures de rétorsion prises par leurs partenaire­s commerciau­x vont finir par affecter l’activité économique avec une chute des prix des matières premières et la baisse de l’investisse­ment et de la consommati­on

- RAM ETWAREEA @ram52

Le FMI a mis en garde: les mesures protection­nistes décrétées par Donald Trump et les ripostes qu’elles ont engendrées pourraient réduire de 0,5% le PIB mondial en 2018. Les analystes, jusqu’ici prudents, parlent désormais d’une menace pour la croissance à l’échelle planétaire

Depuis l’ouverture des hostilités commercial­es par les Etats-Unis à l’encontre de la Chine et de l’Union européenne, analystes, économiste­s, décideurs et acteurs se sont contentés, non sans inquiétude, de compter les points entre les deux camps. Mais voilà qu’ils sonnent désormais l’alarme et commencent à chiffrer les pertes à venir en monnaie sonnante et trébuchant­e.

Le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) n’a pas mâché ses mots ce dimanche au G20, où les pays les plus industrial­isés de la planète s’étaient réunis. Pour le FMI, dans le pire des scénarios, la perte pourrait atteindre 0,5% du produit intérieur brut mondial (PIB) en 2018. Si l’institutio­n maintient ses prévisions de croissance pour les Etats-Unis à 2,4%, elle a révisé celles de la zone euro et des pays émergents à la baisse.

L’inquiétude des analystes se double des premiers effets concrets du conflit sur le terrain. Des agriculteu­rs et des industriel­s américains qui travaillen­t pour les marchés asiatique ou européen sont en difficulté. Et la Chambre de commerce américaine est elle aussi sortie du bois, lundi, pour tenter de calmer les ardeurs guerrières du président Trump: «Le commerce, ça fonctionne, les taxes douanières, pas», proclame-t-elle dans l’espoir de faire passer le message à la Maison-Blanche.

Dans le camp d’en face, l’alarme est aussi là. L’offensive protection­niste sur les voitures inquiète l’Allemagne, où ce secteur clé emploie 800000 personnes. Quant à la Chine, si le FMI ne voit pas sa croissance baisser, elle prend néanmoins des mesures en commençant à délocalise­r certaines usines pour éviter les foudres de l’Oncle Sam.

«Les tarifs douaniers ne sont que des taxes qui augmentent les prix pour tout le monde»

THOMAS DONOHUE,

PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE

DE COMMERCE AMÉRICAINE

La guerre commercial­e peut-elle faire dérailler la croissance économique mondiale? Il y a encore quelques semaines, décideurs, économiste­s et analystes se gardaient de faire des pronostics. Désormais, ils sont plus directs: le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) met en garde contre une perte de 0,5% du produit intérieur brut mondial (PIB) en 2018.

En monnaie sonnante et trébuchant­e, c’est l’équivalent de près de 400 milliards de dollars. Si l’institutio­n maintient ses prévisions de croissance pour les Etats-Unis à 2,9%, elle a révisé celles de la zone euro, du Japon et des pays émergents à la baisse. Réunis à Buenos Aires ce week-end, les ministres des Finances et les présidents de banques centrales du G20 ont également mis en garde contre les conséquenc­es désastreus­es d’un conflit généralisé. En bref, la guerre des tarifs est désormais perçue comme un réel danger pour la croissance.

Paradoxale­ment, la guerre commercial­e déploie ses premières conséquenc­es sur l’économie américaine alors même que le président américain, Donald Trump, avait lancé les hostilités dans l’espoir de protéger les entreprise­s nationales. Sur son site internet, la Chambre de commerce américaine montre par l’exemple les difficulté­s auxquelles font face divers secteurs de l’économie: à Wausau dans l’Etat de Wisconsin, Graig Baumann exploite une culture de ginseng sur une surface de 200 hectares. Après l’imposition des surtaxes américaine­s sur l’acier et l’aluminium à partir du 1er juin, la Chine a contre-attaqué avec des mesures de rétorsion, appliquant à son tour un droit punitif sur le ginseng importé des Etats-Unis. L’impact a été immédiat: coup sur coup, trois contrats ont été annulés.

Harley-Davidson délocalise

«Le commerce, ça fonctionne, les taxes douanières, pas.» C’est avec ce slogan que la Chambre de commerce américaine demande au président Trump de mettre fin à sa politique commercial­e agressive. Le cas du constructe­ur de motos Harley-Davidson en dit aussi long. L’introducti­on de la surtaxe imposée par l’administra­tion Trump de 25% sur l’acier importé aux Etats-Unis renchérit le coût de production d’autant.

De plus, le constructe­ur de Milwaukee (Wisconsin) qui écoule 400000 motos par année en Europe subit une surtaxe (de rétorsion) de 25% sur le marché européen. Face à une telle surenchère, le groupe a annoncé la délocalisa­tion d’une partie de sa production hors des Etats-Unis. «La stratégie de l’administra­tion américaine fait fausse route, écrit la Chambre. Elle met en péril la récente résurgence de notre économie.»

Mais les autres régions du monde seront tout aussi affectées. La zone euro craint le pire au cas où Washington exécuterai­t sa menace d’imposer une surtaxe de 20% sur les voitures européenne­s entrant sur le marché américain. L’industrie automobile allemande en particulie­r, mais aussi les industries italienne, française et britanniqu­e font tout pour éviter ce scénario. Au total, les exportatio­ns automobile­s européenne­s vers les EtatsUnis représente­nt 30 milliards de dollars par année. Le FMI table d’ores et déjà sur une baisse de la croissance pour l’Allemagne, la France et l’Italie à hauteur de 0,3% en 2018. Le Japon, le Mexique et le Canada, également exportateu­rs d’automobile­s aux Etats-Unis, paieront aussi un lourd tribut.

Resserreme­nt monétaire

Dans une chronique publiée le week-end dernier, l’économiste et professeur américain Nouriel Roubini fait remarquer que «le protection­nisme de plus en plus agressif de Trump menace aujourd’hui la part importante de la croissance mondiale due à la Chine et aux Etats-Unis». Il fait surtout remarquer que la reprise est soumise à risques du fait que les programmes d’assoupliss­ement monétaire et les taux d’intérêt qui tendent à grimper ne soutiendro­nt plus la croissance, comme en 2017.

Nouriel Roubini note également que l’administra­tion Trump a fini par faire régner l’incertitud­e sur l’économie mondiale. Par conséquent, les marchés sont volatils, et les prix des actions ou des matières premières sont instables depuis trois mois.

Pour Valentin Bissat, économiste chez Mirabaud Asset Management, une hausse généralisé­e des droits de douane de 10 points de pourcentag­e aura, selon certaines études, un impact estimé à près de 3% du PIB sur trois ans. Les difficulté­s se feront sentir à travers différents canaux, en particulie­r l’investisse­ment et la consommati­on.

L’économiste anticipe également un resserreme­nt des conditions financière­s et la hausse des coûts d’emprunt qui pèseraient sur l’activité américaine et mondiale. «La hausse de l’inflation, qui a déjà atteint l’objectif de 2%, pourrait amener la Réserve fédérale à accélérer la remontée des taux d’intérêt», conclut-il.

«Le commerce, ça fonctionne, les taxes douanières, pas» CHAMBRE DE COMMERCE AMÉRICAINE

 ?? (GARY CAMERON/REUTERS) ?? L’entreprise Harley-Davidson est doublement punie. D’une part, elle subit la surtaxe américaine de 25% sur l’acier importé et, d’autre part, l’Europe, comme mesure de rétorsion, la frappe d’une taxe de 25%.
(GARY CAMERON/REUTERS) L’entreprise Harley-Davidson est doublement punie. D’une part, elle subit la surtaxe américaine de 25% sur l’acier importé et, d’autre part, l’Europe, comme mesure de rétorsion, la frappe d’une taxe de 25%.

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