Le Temps

Fiction politique, le défi de la RTS

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

Une femme de ménage du Palais fédéral «impliquée malgré elle dans un trafic d’armes» et «subissant la double pression d’un groupe mafieux et d’un agent des services secrets»: sur le papier, Helvetica, la série que tourne la RTS ces jours, a de quoi faire craindre le pire. La chaîne publique s’est parfois montrée si obsédée par la nécessité de rassembler qu’elle en a gâché des fictions.

On lui laisse évidemment le bénéfice du doute, d’autant que deux des trois auteurs (Romain Graf et Léo Maillard, avec Thomas Eggel) ont écrit l’originale Station horizon, visible sur Netflix. En sus, le projet est porté, avec un coproducte­ur belge, par Rita Production­s, qui couva Ma vie de Courgette mais aussi Heidi, une relecture inspirée.

Reste qu’en se lançant dans la fiction politique, la RTS joue gros. Le domaine est radioactif. Si promptes à conter des mutations sociales, à plonger dans la noirceur des âmes et des villes, à exposer les plis crapuleux des familles ou des puissants, les séries sont venues à la politique sur le tard. Les Anglais ont commencé sur leur ton, caustique, dans les années 1980 avec Yes Minister puis House of Cards en 1990. Les Américains ont fait montre d’une prudence historique: il a fallu The West Wing (A la Maison-Blanche), de 1999 à 2006, pour faire de l’exercice du pouvoir une désirable matière fictionnel­le. Venu du théâtre, le créateur, Aaron Sorkin, y est parvenu en agissant sur le nerf de la guerre politique, la parole, donnée, volée, imposée, débitée, cachée…

Puis, il y a huit ans, a eu lieu le miracle Borgen. Inspiré par Aaron Sorkin, Adam Price a fait une offrande danoise au monde; rendre passionnan­tes les affres assez banales d’une femme dans le système politique plutôt soporifiqu­e d’une nation de 5,8 millions d’habitants. Le pays le plus heureux du monde a prouvé qu’il était possible de dramatiser la politique sans afféterie ni surenchère, simplement par la justesse des caractères et du trait.

A son tour, Borgen a déverrouil­lé les esprits, en particulie­r des responsabl­es de télévision. C’est elle qui a convaincu Canal + que Baron noir était un pari jouable. C’est elle qui se trouve sans cesse citée au titre de l’exemple de création locale et exportable.

La démarche de la RTS et des initiateur­s d’Helvetica s’inscrit dans ce contexte. Le défi est de construire une histoire judicieuse et crédible. Il s’agira de la deuxième audace du diffuseur dans la fiction. La première, il y a dix ans, a été le remaniemen­t du modèle de production, en suscitant des initiative­s indépendan­tes. Le deuxième palier consiste à investir des sujets et des univers délicats. Un pas, prometteur, a été fait dans le grisâtre secteur financier avec Quartier des banques. La politique, ce sera plus difficile encore. Réponse à la rentrée 2019. Quartier des banques a été vendue au Danemark. C’est peut-être de bon augure.

En se lançant dans la fiction politique, la RTS joue gros, car ce champ a longtemps été miné

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