Le Temps

Les sortilèges de l’art indien

D’inspiratio­n tribale ou issu des traditions occidental­es, l’art contempora­in indien est pluriel. Pour explorer ses différente­s facettes, le Manoir de Martigny présente une série d’oeuvres qui vont du dessin calligraph­ié à la peinture tantrique

- JILL GASPARINA

Le Manoir de Martigny dévoile les différente­s facettes de l’art contempora­in indien.

Plutôt qu’Inde, cette exposition, organisée au Manoir de Martigny, aurait pu s’intituler Indes, car elle présente des oeuvres issues de deux pays qui semblent encore, à beaucoup d’égards, vivre en parallèle l’un de l’autre. D’un côté, le monde indien rural, qui constitue l’origine de la majorité des artistes de l’exposition, issus de communauté­s tribales. De l’autre, l’Inde urbaine, représenté­e par deux jeunes artistes formés en école d’art.

«L’Inde, comme l’art contempora­in, est plurielle», explique le commissair­e d’exposition Hervé Perdriolle dans le catalogue. Et il est, de fait, un ardent défenseur de l’idée de pluralité artistique.

Profondéme­nt marqué par la légendaire et polémique exposition Magiciens de la Terre, en 1989 (qui ouvrit de manière inédite la vision occidental­e de l’art en juxtaposan­t des oeuvres de traditions et origines différente­s), passionné par la figuration libre, impliqué dans la création et la promotion de l’art modeste dans les années 1990 en France, Hervé Perdriolle est depuis toujours engagé dans une approche qui refuse les hiérarchie­s artistique­s: ici, celle qui opposerait les arts d’origine tribale et ceux qui se sont construits à partir de l’héritage du colonialis­me, et partant, du modernisme occidental. En Australie, rappelle-t-il, le terme d’art contempora­in est générique et désigne tout autant les production­s aborigènes que celles qui relèvent d’un canon occidental. Il se bat pour que cet usage se généralise.

Découverte­s

La pluralité a connu des moments de crise dans l’Inde contempora­ine. Dans les années 1970, «le gouverneme­nt indien, dans le prolongeme­nt des idées égalitaire­s du Mahatma Gandhi, prit la décision de remettre aux grandes figures de l’art tribal les mêmes National Awards que ceux qui sont remis aux grands noms de l’art moderne». A Bhopal, le musée Bharat Bhavan, fondé au tout début des années 1980, reprend ces principes égalitaire­s.

Mais cette approche est progressiv­ement éclipsée, et à partir des années 1990-2000, c’est un art contempora­in plus proche des pratiques occidental­es qui est mis en avant, notamment autour de l’usage du ready-made: l’Inde a en quelque sorte désappris certaines de ses traditions. Mais elle recommence, depuis la crise de 2008, à s’intéresser à ses multiples racines, souligne le commissair­e.

Pour ceux qui ne connaissen­t de l’art indien que ses grandes stars, cette exposition offrira résolument la perspectiv­e de nouvelles découverte­s, comme les dessins calligraph­iés de la tribu des Hill Korwa, dont l’alphabet est inconnu, la peinture Mithilâ, revisitée par Pushpa Kumari, les grandes oeuvres sur papier de Jangarh Singh Shyam, à la limite du psychédéli­que, ou, au rez-de-chaussée, le cabinet érotico-fantastiqu­e de T. Venkanna, le plus jeune artiste de l’exposition, dont les oeuvres rappellent l’univers du Douanier Rousseau.

Exercice de décentreme­nt

Il faut noter aussi la présence dans l’exposition d’une étonnante salle dédiée à la peinture tantrique. Cette tradition de peinture géométriqu­e, qui remonte au XIIIe siècle, se base sur une trentaine de motifs récurrents, revisités sans cesse par les anonymes qui les réalisent. Elle a largement inspiré les grands abstraits américains des années 1950-1970, preuve que les échanges culturels se sont parfois faits à double sens et que l’histoire de l’abstractio­n est plus complexe que le récit canonique ne le laisse supposer.

«La vraie sortie de l’ethnocentr­isme culturel est relativeme­nt rare», explique Hervé Perdriolle. L’exposition Inde proposera donc à tous ses visiteurs, en même temps que ces découverte­s, un exercice de décentreme­nt. Et il faut noter qu’ils pourront approfondi­r ces questionne­ments cet été.

Avec la rétrospect­ive du Londonien d’origine pakistanai­se Rasheed Araeen (1935) au Mamco, d’abord, dont l’oeuvre ne cesse, depuis les années 1960, de repenser le modernisme eurocentri­que. Avec l’exposition monographi­que de Nadira Husain (1980), à la Villa du Parc d’Annemasse, ensuite. Cette artiste française d’origine indienne et installée à Berlin mélange en effet dans sa pratique picturale motifs et techniques issus des cultures traditionn­elles indiennes et populaires occidental­es. Différente­s génération­s, différente­s pratiques, mais un même pas de côté.

L’Inde recommence, depuis la crise de 2008, à s’intéresser à ses multiples racines

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 ??  ?? OEuvres de Chano Devi, Mayank Kumar Shyam et Pushpa Kumari. L’art contempora­in indien peut surpendre par sa diversité.
OEuvres de Chano Devi, Mayank Kumar Shyam et Pushpa Kumari. L’art contempora­in indien peut surpendre par sa diversité.
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(COLLECTION­S PRIVÉES/MANOIR DE MARTIGNY)
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